L'un de nos plus grands
acteurs français disparu voilà plus de trois ans toucha à tous les
genres. De la comédie au thriller en passant par le drame (social ou
non), le film historique ou de guerre, le biopic et j'en passe,
Michel Piccoli aura marqué de son empreinte si particulière le
cinéma français et même mondial. Jouant dans d'innombrables
longs-métrages, convié par des metteurs en scène de tous pays, on
le vit notamment apparaître à plusieurs reprises dans des œuvres
signées du réalisateur espagnol Luis Buñuel. Le fils même de
l'auteur de L'Ange exterminateur, de Belle de
jour ou de Cet obscur objet du désir
dirigea l'acteur français dans l'un des plus beaux films
fantastiques tournés en collaboration entre la France, l'Italie et
l'Espagne. Malgré son patronyme et les origines de son père, Juan
Luis Buñuel est né dans l'hexagone le 9 novembre 1934 dans le 4ème
arrondissement de Paris. Disparu trois ans après la vedette de ce
troisième long-métrage qui fera suite à Au
rendez-vous de la mort joyeuse
en 1973 et La femme aux bottes rouges
l'année suivante, c'est une fois encore le fantastique qui intéresse
ici le réalisateur qui signe avec Leonor
une œuvre fantastico-médiévale relativement étrange. Curieuse,
mais non dénuée de références auxquelles certains amateurs se
raccrocheront certainement pour justement... ne pas décrocher !
Car alors, quel dommage cela aurait été que de se dispenser d'un
film aussi émotionnellement fort et au contenu si ensorcelant. Bien
que l'approche du cinéaste soit très particulière, intégralement
contenue dans une fréquence engourdie par un rythme éthéré, voire
léthargique, c'est peut-être justement dans ce choix de ne pas
ressembler au tout venant du cinéma fantastique que Leonor
retient l'attention. Le film met donc en scène Michel Piccoli dans
le rôle de Richard, riche seigneur du milieu du quatorzième siècle
dont les apparats s'éloignent très largement de l'image que l'on
peut avoir d'un aristocrate, de sa cours et de son royaume. Ici,
l'univers de cet homme un peu rude mais fou amoureux de son épouse
qui meurt très rapidement des suites d'une maladie est à l'image de
la dureté qui entoure son existence et celle de ses sujets. Rien de
visuellement flamboyant donc, si l'on prend uniquement en compte la
propriété de cet homme qui s'octroiera aussitôt une nouvelle
épouse en la personne de Catherine (interprétée par la sublime
actrice italienne Ornella Muti). Leonor, elle, est incarnée par la
norvégienne Liv Ullmann.
Donnant
son prénom à ce film envoûtant, cette histoire d'amour fantastique
dont on perçoit l'empreinte toute française dont elle puisse être
dotée mais également l'héritage dont est pourvu son auteur, digne
descendant de l'un des plus grands cinéastes espagnols est une
brillante réussite. Épousant donc Catherine à la mort de sa
première épouse, Richard lui donnera deux fils, qu'élèvera tout
d'abord l'un de ses sujets. Dix ans après la mort de Leonor dont il
a fait enfermer le corps dans un caveau naturel et dont il a fait
condamner l'entrée, Richard, toujours hanté par la disparition de
sa première épouse, croise la route d'un mystérieux personnage qui
lui offre l'opportunité de retrouver celle qu'il n'a jamais cessé
d'aimer. Leonor revient donc à la vie, les traits inchangés mais
dégageant une forte odeur de mort rappelant qu'elle a passé une
décennie enfermée sous la dalle d'une pierre tombale ! Tout va
alors se bousculer et la menace d'un fléau dont les premiers signes
se sont révélés en Italie va s'étendre jusqu'au royaume de
Richard. Sans que le mot ne soit véritablement posé au cœur de
l'intrigue et alors qu'il faudra patienter presque trois
quarts-d'heure avant que Leonor ne reviennent du monde des morts, on
devine de quelle mythologie fantastique s'est inspiré Juan Luis
Buñuel pour écrire et réaliser son troisième long-métrage. Tout
commence en effet à transpirer le film de vampire et ce, jusqu'à
l'évocation de ce fléau qui se propagea en Europe au quatorzième
siècle et dont certaines idées reçues accusèrent la propagation
par les rats. Une allégorie qui oppose donc le personnage de Leonor
à son pendant masculin, le célèbre comte Dracula ! C'est donc
assez tardivement que la jeune femme s'adonnera à cette ''nouvelle
passion'' consistant à boire le sang de très jeunes victimes,
confirmant donc l'allégorie en question. Tourné dans de superbes
décors dont un très vieux pont, Leonor
est une œuvre rare, méconnue et tournée à une époque où le
fantastique fut en général et en Europe, l’apanage de la maison
de production britannique Hammer
Films.
Non content d'accueillir au sein du récit de très grands
interprètes, le film est en outre accompagné par la superbe musique
du célèbre compositeur italien Ennio Morricone. Notons enfin que
Leonor
fut à l'origine une nouvelle écrite par le poète et romancier
allemand du dix-neuvième siècle, Ludwig Tieck, transposée non plus
par le cinéaste au dix-neuvième mais bien avant, durant la période
où une épidémie de peste noire fit des dizaines et des dizaines de
millions de morts en Europe... Remarquable...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire