Après un premier
long-métrage coup de poing et pour le moins dérangeant (Les
crimes de Snowtown
en 2011), le réalisateur australien Justin Kurzel revenait en 2021
avec Nitram,
s'inspirant une fois de plus d'un fait-divers authentique.
Entre-temps, il mit en scène l'une des nombreuses adaptations de la
pièce de William Shakespeare MacBeth
en
2015, une autre basée sur le jeu vidéo Assassin's
Creed
l'année suivante ainsi qu'une biographie sur le Bushranger
Ned Kelly intitulée Le Gang Kelly
en 2019. Anacyclique du prénom Martin, Nitram
est celui que porte le héros de ce récit qui situe son action dans
les années quatre-vingt dix en Australie. Partageant sa passion
entre les feux d'artifices et le surf (ce dernier ne lui procurant
aucun plaisir concret puisque ses parents, et sa mère en
l'occurrence, ne lui donnent pas les moyens de s'offrir une planche),
Nitram est un marginal qui au mieux est hyperactif et au pire, est
doté de troubles psychiatriques. Sans amis, regardant les jeunes
s'adonner à leur passion sans pouvoir la partager avec eux,
l'adolescent s'occupe comme il peut. Au détriment de sa mère
(extraordinaire Judy Davis), impuissante, ou de son père (Anthony
LaPlagia) qui gère autant qu'il le peut l'énergie débordante de
son fils. On retrouve le grain du premier long-métrage de Justin
Kurzel qui à l'époque fit sensation. Ou comment aborder un fait de
société particulièrement dramatique sous l'angle esthétique du
cinéma indépendant. Rejoignant une légion de longs-métrages,
Nitram
est tout comme le premier film de son auteur ou des œuvres telles
que Clean, Shaven de
Lodge Kerrigan, Julien Donkey-Boy
de Harmony Korine ou Elephant de
Gus Van Sant, une œuvre véritablement sous tension psychologique.
L'antithèse du rêve américain qui génère autant de malaise que
d'interrogations. Une œuvre qui ne transpire ni la joie, ni même
l'optimisme. Et ce, malgré la rencontre entre Nitram et cette
excentrique vieille femme (Essie Davis dans le rôle d'Helen) qui lui
donne enfin un but dans la vie. Ou du moins, partage avec
l'adolescent ce non-conformiste qui les place à l'écart de la
société. Vivant exclusivement entourée de chiens, de chats et
d'oiseaux en liberté dans une vaste propriété, sans époux et sans
enfants, Helen accueille chez elle le jeune garçon. Ouvrant à ce
dernier des perspectives faussées par la maladie qui contamine son
quotidien ainsi que celui de ses proches...
Nitram
déploie des trésors de sensibilité portés par l'incroyable
performance de l'acteur Caleb Landry Jones qui du haut de ses trente
et un ans à l'époque du tournage n'en fut cependant pas à ses
débuts puisque avant cela, il débuta en figurant dans l'excellent
No Country fort Old Men
des frères Coen et poursuivit sa carrière dans des œuvres aussi
diverses que Le dernier exorcisme
de Daniel Stamm et The Social Network
de David Fincher en 2010, X-Men : Le Commencement
de
Matthew Vaughn l'année suivante ou Get Out
de Jordan Peele en 2017. Il interprétera même le rôle principal du
premier long-métrage de Brandon Cronenberg Antiviral
en 2012. Autant dire que la carrière de Caleb Landry Jones est déjà
sacrément enviable, renforcée donc en 2021 par ce Nitram
qui,
au delà de l'aspect passablement sordide du fait-divers évoqué est
aussi et surtout une œuvre déchirante et totalement habitée par le
jeune acteur. Un drame social réaliste, pessimiste et dont les
personnages évoluent dans une sphère mélancolique. Comme
évoqué plus haut, Nitram,
le titre, est la lecture à travers un miroir du prénom d'un
authentique tueur de masse qui en 1996 sévit dans le petit village
de Port Arthur en Tasmanie en tuant trente-cinq personnes et en en
blessant vingt-trois autres. Arrêté puis condamné à mille
trente-cinq ans de prison, Martin Bryant purge depuis sa peine au
Risdon Prison
Complex.
De la prison pour un individu que le film fait percevoir à travers
le prisme de la folie, de la schizophrénie, vivant dans un monde
imaginaire et n'ayant pas vraiment conscience du mal qu'il produit.
Formidablement interprété par des partenaires caractérisés avec
une grande justesse, Nitram
cherche, selon son auteur, à faire réfléchir sur la législation
concernant le port d'armes en Australie sans pour autant aborder le
sujet de manière frontale. Délaissant également l'aspect purement
graphique libéré dans une décharge visuelle particulièrement
éprouvante dix ans auparavant avec Les crimes de
Snowtown,
Justin Kurzel s'intéresse donc moins aux conséquences qui ont
menées un jeune homme à perpétrer un carnage qu'aux
''motivations'' disproportionnées qui l'ont poussé à ôter la vie
à plusieurs dizaines de personnes. Au final, Nitram
est une œuvre choc, bouleversante, terrifiante, admirablement
interprétée et mise en scène. Un joyau noir...
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