Si je devais résumer en un seul mot le dernier long-métrage du réalisateur danois d'origine iranienne Ali Abbasi, je dirais ''déception'' ! Car après avoir assisté à la célébration de l'actrice franco-iranienne Zar Amir Ebrahimi qui reçut lors du dernier festival de Cannes le Prix d'interprétation féminine pour son rôle dans Les Nuits de Mashhad, il devenait urgent de découvrir sa performance à l'écran. Drôle de destin que celui de cette actrice qui en 2006 est engagée dans une affaire de saxetape qui condamne alors toutes ses chances de pouvoir désormais tourner le moindre long-métrage dans son propre pays. C'est ainsi que la jeune iranienne qui en 2008 a vingt-sept s'exile en France où elle poursuit sa carrière d'actrice mais également celle de réalisatrice et de productrice. Sa rencontre avec Ali Abbasi, lequel a jusque là signé deux œuvres relativement brillantes (Shelley en 2016 et Border deux ans plus tard) offre à Zar Amir Ebrahimi l'opportunité d'incarner le rôle d'une journaliste de retour à Mashhad, la ville de son enfance où cette quadragénaire au solide tempérament va enquêter sur une série de meurtres touchant exclusivement des femmes prostituées. Situant son action dans la ville du nord-est de l'Iran et capitale de la province du Khorassan-e Razavi, le film sera cependant et logiquement tourné non pas dans son pays d'origine d'où l'actrice est proscrite mais en la lointaine Jordanie, notamment séparée par l'Irak et à une distance de deux-mille kilomètres environs. Épineux sujet puisque en Iran, les autorités voient d'un mauvais œil la participation du film d'Ali Abbasi au festival de Cannes alors à venir. Car en effet, non seulement le film est basé sur un authentique fait-divers (Un maçon d'une quarantaine d'années du nom de Saeed Hanaei a piégé, étranglé et fait disparaître les corps de 16 femmes entre août 2000 et juillet 2001 afin, selon ses propres dires, de nettoyer la ville de Mashhad de la corruption), mais il met également en cause la société iranienne et ses mœurs vis à vis des femmes en général et de celles qui comme l'héroïne ne se plient pas strictement aux règles mises en vigueur dans le pays...
Les Nuits de Mashhad s'ouvre sur l'un des assassinats de prostituées perpétrés par un individu insaisissable que la presse nomme les meurtres d'araignées. Une séquence qui d'emblée choque par son grand réalisme et par l'emploi d'une caméra fixant l'objectif directement dans le regard de la victime jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Même si la scène est assez courte, on comprend d'ors et déjà les objectifs du tueur qui comme le précise le récit lors d'une séquence de dialogue, arbore le visage d'un fondamentaliste religieux. Ali Abbasi et son scénariste Afshin Kamran Bahrami partagent le récit entre deux points de vue : celui de l'héroïne Rahimi, journaliste imaginaire qu'interprète donc Zar Amir Ebrahimi et celui du tueur lui-même dont l’œuvre n'épargne à aucun moment le spectateur de ses méfaits. Et même si aucun autre meurtre ne sera aussi éprouvant que celui qui jette directement le spectateur dans ce bain de violence aussi graphique que moral, on reste marqué par l'incarnation de Mehdi Bajestani qui de son côté remportera le prix de l'interprétation masculine au dernier Festival international du film de Stockholm. L'un des attraits principaux tient moins dans la description des meurtres commis par cet homme marié en père de plusieurs enfants que dans celle d'un pays où la femme est contrainte de se comporter par l'action du pouvoir patriarcal et par des mœurs et coutumes qui en notre époque peuvent paraître chez nous parfaitement inappropriés. Si pour une femme l'obligation de cacher ses cheveux sous un voile peut paraître à elle seule une absurdité, que dire lorsque notre héroïne se voit tout d'abord refuser l'accès à une chambre d’hôtel qu'elle avait pourtant réservée pour le seul motif qu'elle n'est pas accompagnée ?
Si Ali Abbasi observe à la loupe certaines ''traditions'' religieuses et comportementales iraniennes comme la prière quotidienne et le jugement d'une partie de la communauté masculine vis à vis des exactions du tueur ou du traitement de ces femmes dites corrompues, Les Nuits de Mashhad souffre malheureusement d'un symptôme sans doute lié au fait que le réalisateur vive depuis une vingtaine d'année non plus en république islamique d'Iran mais en Europe. En effet, son troisième long-métrage, quoique parfaitement incarné par ses deux vedettes dont les récompenses à divers festivals sont hautement méritées, n'est dans sa forme qu'un thriller parmi tant d'autres et s'offre l'inconvénient d'être très en deçà du plus grand nombre d'entre eux. Bien que le film baigne dans une ambiance qui inquiète autant par les exactions nocturnes du tueur que par la propre mise en danger de la courageuse héroïne dans un pays où la femme n'a pas de grand pouvoir sur les décisions, Les Nuits de Mashhad est un thriller à ''l’Occidentale'' et donc très classique dans son déroulement. Détaché de son intrigue basé sur un sordide fait-divers et sur le constat que fait le réalisateur d'un pays dont il est originaire et dont le fanatisme religieux est l'un des éléments-clés, son dernier long-métrage s'avère objectivement très classique, voire même parfois pompeux. Reste des visions et des propos qui à certaines occasions glacent le sang. Un Prix d'interprétation féminine au festival de Cannes de 2022 hautement mérité par Zar Amir Ebrahimi mais au final, une œuvre relativement décevante...
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