De Claire Denis, que
sais-je... ? Quelle réalisa en 1994 J'ai pas sommeil
dans lequel évoluaient des personnages dans un contexte anxiogène
consécutif à la série de meurtres qui endeuilla la capitale
française au milieu des années quatre-vingt. Qu'en 2001 elle signa
l'étrange drame horrifique Trouble Every Day
et sa Béatrice Dalle souffrant d'une pathologie rare la poussant à
adopter un comportement anthropophage. Pour le reste, allez demander
aux spécialistes qui apprécient son cinéma un brin auteurisant.
Concernant Avec amour et acharnement,
c'est plus par passion pour Vincent Lindon et par plaisir de
retrouver Juliette Binoche sur grand écran que j'ai opté hier soir
pour le dernier long-métrage de la réalisatrice. Pour ces deux
immenses artistes mais déjà beaucoup moins pour l'hautaine
Christine Angot qui est à l'origine du scénario aux côtés de
Claire Denis mais qui est aussi et surtout à l'origine de l'ouvrage
littéraire Un
tournant dans la vie
qui a servi de base à la construction du récit. Preuve que l'on
peut détester quelqu'un avec une certaine ferveur tout en étant
capable de faire un pas de côté afin de lui laisser une chance de
s'exprimer. Avec ses quasi deux heures et des critiques qui parfois
se sont montrées relativement dures, Avec amour
et acharnement
avait toutes les chances de m'ennuyer ou de me laisser totalement
indifférent. Est-ce la charismatique présence de Vincent Lindon, le
charme fou et plus que jamais prononcé de Juliette Binoche ou la
partition tantôt naïve tantôt anxiogène du compositeur anglais
Stuart Staples ? Toujours est-il que le nouveau long-métrage de
la réalisatrice française a particulièrement bien fonctionné. Une
histoire de passion dévorante comme sait si bien en livrer le
septième art avec tout ce que le concept véhicule d'émotions
complexes. Pourtant, un récit à l'origine tout à fait ordinaire.
Un homme et son épouse. Vincent Lindon dans le rôle de Jean et
Juliette Binoche dans celui de Sara. Lui est un ancien rugbyman ayant
fait de la prison, elle, est animatrice d'une émission de radio.
Encore très amoureux l'un de l'autre, la réapparition de François
(l'acteur Grégoire Colin) dans la vie du couple va chambouler leur
existence. Une relation ambiguë se noue alors entre ces trois
individus. Jean finit par accepter l'emploi que lui offre François
tandis que Sara paraît profondément troublée par le retour dans
son existence de son ancien amant...
Tout
est dit, ou presque. Amour, passion, jalousie, méfiance et querelles
se confondent dans un tourbillon de (res)sentiments, avec au centre
de l'intrigue, trois personnages parfaitement interchangeables que
Claire Denis dirige avec une certaine maîtrise de son sujet. Bien
que certains aient mis en doute la valeur des dialogues, les trois
interprètes s'avèrent convaincants. Le couple Vincent
Lindon/Juliette Binoche fonctionne bien et l'on croit à leur
union... mais aussi à ces déchirantes séquences lors desquelles le
couple se questionne sur sa relation et sur la réalité des
sentiments vis à vis d'eux-mêmes ou de François. Juliette Binoche
est saisissante en quinquagénaire fébrile, troublée, parfois en
rupture avec la réalité de ses sentiments qu'elle ne semble pas
toujours volontairement vouloir réprimer. Vincent Lindon lui oppose
un regard parfois froid et distant, ouvert à toutes propositions au
risque de voir la passion revenir en force entre son épouse et son
ancien ami. Claire Denis pénètre l'intimité de ses personnages,
les dévore des yeux. Sa caméra épouse leur regard, leur volupté,
au travail, dans leur salon, dans la cuisine et jusque dans la
chambre du couple où se multiplient les ébats amoureux. La
réalisatrice remporte un Ours
d’argent
à Berlin en 2022 bien mérité pour une œuvre capable de nous
éclairer sur la force des sentiments, entre Amour pour l'un et
Passion pour le second. Une œuvre qui en outre s'avère parfois, et
de manière infime, relativement inconfortable. Des scènes lourdes
de conséquences magnifiées d'abord par le duo Vincent
Lindon/Juliette Binoche et par un Grégoire Colin longtemps et
suffisamment mis en retrait pour éveiller et nourrir la curiosité.
À la limite, on reprochera à Avec amour et
acharnement son
côté banalement politisé faisant intervenir l'ancien footballeur
et nouveau pseudo-intellectuel Lillian Thuram lors d'une séquence
parfaitement inutile décrivant l’éternel discours du blanc
raciste et de l'immigré opprimé ! Une faute de goût certaine
qui n'empêche heureusement pas l’œuvre d'être brillante...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire