Le dernier long-métrage
de Luca Guadagnino (Call me by your name en
2017, Suspiria
en 2018) ressemble tout d'abord au cinéma indépendant vouant une
approche spécifique des marginaux en général et à celui d'un
certain Harmony Korine en particulier (Gummo en
1997, Trash Humpers
en 2009). Un cinéma souvent réaliste qui pourtant trouve ici une
résonance avec le fantastique. Si l'anthropophagie et le
cannibalisme sont des mythes qui trouvent leur source dans les coins
les plus reculés des territoires africains et même bien avant
puisque les tribus d’Homo erectus, de Néandertaliens et d’Homo
sapiens recoururent à leur époque au cannibalisme, cette thématique
qui effraie et s'avère donc propice à bâtir des récits
horrifiques fit florès sur grand écran dans les années
soixante-dix/quatre-vingt. Des dizaines de longs-métrages qui mirent
tout d'abord en avant des individus vivant au cœur de la forêt
vierge amazonienne, donnant ainsi l'un de ces films cultes qui encore
aujourd'hui, dérangent. On parle bien évidemment du cultissime
Cannibal Holocaust
du réalisateur italien récemment disparu, Ruggero Deodato. Le mythe
dégénérant et allant jusqu'à être transposé jusqu'en Occident,
peu à peu, ce qui semblait n'être encore qu'une légende allait se
transformer en un fait-divers des plus concret. De la famille de
dégénérés de Massacre à la tronçonneuse
de Tobe Hooper en 1974, en passant par La semana
del Asesino de
l'espagnol Eloy de la Iglesia et jusqu'au Grave
de la française Julia Ducournau... Des dizaines, voire des centaines
de longs-métrages plus ou moins crédibles mettant en scène des
hommes et des femmes dévoreurs de chair humaine... Mais le dernier
méfait de l'italien Luca Guadagnino, lui, semble également se
rapprocher d'un autre mythe. Celui de ces tueurs en série qui
parcourent le territoire américain à la recherche de proies. Et
plus précisément, des couples d'assassins comme les divers médias
en ont conté les horribles affaires. Pourtant, ses héros incarnés
par Taylor russell (dans le rôle de Maren) et Timothée Chalamet
(dans celui de Lee) semblent moins se rapprocher des couples formés
par Bonnie Parker et Clyde Barrow ou Raymond Fernader et Martha Beck
que de Charles Starkweather et Caril Ann Fugate auxquels plusieurs
cinéastes consacrèrent une œuvre cinématographique parmi
lesquelles, Terrence Malick avec La Balade
sauvage
(Badlands).
Et c'est précisément à celui-ci que l'on se référera
immédiatement même si le fond est diamétralement différent du
récit offert par Bones and All,
le dernier film de Luca Guadagnino. Dans le cas de La
Balade sauvage,
s'il n'était nul question de cannibalisme ou d'anthropophagie, il
est en revanche difficile de nier les rapports qu'entretiennent les
deux longs-métrages lorsqu'il s'agit d'évoquer la forme. Car l'un
comme l'autre mettent en scène de jeunes individus parcourant le
territoire américain en semant derrière eux la mort...
C'est
avec une certaine fébrilité que j'attendais de pouvoir découvrir
le dernier film du réalisateur italien. Après avoir été conquis
par son remake du classique de Dario Argento Suspiria,
j'attendais de pouvoir apprécier comment allait évoluer la frange
horrifique de son cinéma avec son dernier né. Un road-movie ayant
les allures d'un cinéma indépendant typique du festival de
Sundance, avec sa description d'une Amérique parcourue par des
marginaux. Et c'est en cela que Bones and All
procure un certain intérêt. D'abord à travers son couple de
cannibales faisant connaissance au détour d'une supérette et de son
voyage à travers l'Amérique profonde à la recherche de leur passé.
Une œuvre intéressante, s'éternisant tout de même au delà des
deux heures, mais procurant tout de même parfois le sentiment de
tourner en rond. L'un des aspects les plus inattendus s'inscrivant
moins dans ce voyage parfois très sanglant que dans la découverte
d'une multitude de personnages s'adonnant eux-même au délice de la
chair humaine, Bones and All
paraît ainsi se rapprocher d'un certain cinéma fantastique foulé
de plain-pied par des hordes de créatures monstrueuses dévorant nos
semblables. Bien que Luca Guadagnino ait su parfois se saisir de
l'imagerie des laissés pour compte vivant sur le territoire
américain, et bien que le couple formé par les deux jeunes
interprètes s'avère parfois touchant (quoique parfaitement glaçant
lors de leurs ''repas''), ce couple nouvellement formé à bien du
mal à séduire le public dès lors que le réalisateur tente de nous
convaincre des sentiments qui les emploie à parcourir une Amérique
pourtant filmée avec grand intérêt. Une œuvre parfois confondante
de beauté lorsqu'elle filme ses personnages au coucher du soleil ou
lors d'une fête foraine mais dont la vanité empêche de s'accrocher
tout à fait à cette histoire d'amour... et de mort ! Le
spectateur ayant l'estomac fragile sera donc moins séduit par les
rapports qu'entretiennent Maren et Lee qu'écœuré par les quelques
repas que partage notre duo, rappelant ainsi l'une des séquences
effroyables de Trouble Every Day
que
réalisa en 2001 la réalisatrice française Claire Denis...
L'inconvénient est ici que Luca Guadagnino se penche sur des
thématiques qui n'ont plus rien de véritablement novatrices. Le
''beau'' et ''le monstrueux'' se confondant en une seule œuvre. Une
ambiguïté qui à l'ère où le cinéma d'horreur a pris une grande
place dans le cœur des spectateurs n'aura d'autre effet que de
battre avec difficulté le froid et le chaud. C'est donc avec une
certaine indifférence que l'on parcours l'Amérique en compagnie de
nos deux jeunes ''amoureux'', si ce n'est pour l'exploitation, à
l'image, d'une certaine misère sociale. Bones
and All
confirme donc davantage le talent de ses deux jeunes interprètes et
sans doute un peu moins celui de son auteur. Un Luca Guadagnino dont
on retiendra en outre et surtout sa vision crépusculaire des
provinces rencontrées que par sa propension à nous conter une
histoire d'amour tragique...
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