Je ne roule pas sur l'or
(petit postier sans la moindre envergure) ni ne suis masochiste. Mais
alors, qu'est-ce qui peut bien me pousser à franchir parfois la
porte d'une salle obscure quand je sais que le film qui y sera
projeté aura probablement plus de chances d'être un navet qu'un
chef-d’œuvre ? Plaisir malsain de jeter l'argent par les
fenêtres ou simple envie de pointer le majeur devant ceux qui
dénigrent avant d'avoir vu ? Non mais sans déconner !
Jean-Pascal Zadi était demeuré jusque là un inconnu. Du moins, en
ce qui me concerne. Et pourtant, ce curieux sosie d'un Eddie Murphy
qui se serait fait arnaquer par un prothésiste dentaire du dimanche
tourne ses propres longs-métrages depuis dix-sept ans. Né à Bondy,
et donc pas très loin de la ville qui m'a vu naître, le bonhomme
multiplie les casquettes de réalisateur, producteur, rappeur et
donc, acteur. En 2020, il réalise le surestimé Tout
simplement noir
dont le titre et l'affiche
donnent une image assez précise de son contenu. En 2022, il trône
au beau milieu de celle du nouveau long-métrage des jumeaux Ludovic
et Zoran Boukherma. Auteurs en 2020 de la très sympathique comédie
horrifique Teddy,
les deux frangins reviennent donc cette année avec L'année
du requin
dans lequel apparaissent également, et SURTOUT, Marina Foïs et Kad
Merad qui, fruit du hasard ou non, se croisèrent notamment à la fin
du siècle dernier sur la ''regrettée'' chaîne Comédie.
Si Teddy
mettait au centre de l'intrigue un adolescent atteint de
lycanthropie, les frères Boukherma semblent cette fois-ci être
attirés par un autre mythe du cinéma fantastique et d'épouvante
puisque comme paraissent l'indiquer le titre et le synopsis, un
requin géant menace les vacanciers de La Pointe, un village du sud
de l'hexagone. Si le film prend encore une fois la forme d'une
comédie horrifique, les deux réalisateurs témoignèrent cependant
de leur volonté de respecter certains codes propres aux genres
horreur et épouvante avec, sans doute, en ligne de mire, la volonté
de rendre hommage aux Dents de la mer
d'un certain... Steven Spielberg...
Marina
Foïs passe ici de la comédie et du drame au cinéma d'horreur et
d'épouvante humoristique et ce, pour la seconde fois puisque l'année
dernière on a pu la voir dans le très saignant et drôlatique
Barbaque
de et avec Fabrice Eboué ! Kad Merad, lui, accumule les
interprétations (souvent trop) légères sur grand écran, dans une
grande majorité de comédies qui ne le sont pas moins, souvent
fidèle envers son ancien complice Olivier Barroux pour lequel il a
jusqu'à maintenant accepté de tenir la vedette dans six de ses
longs-métrages. Narré par Ludovic Torrent (au visage duquel on
serait tenté de vouloir jeter un seau d'eau glacée tant son phrasé
''mou du genou''
épuise à la longue), le récit démarre par la mort d'un touriste
qui au beau milieu de la mer est emporté sous les flots, laissant
derrière lui une eau gorgée de sang. Avec ses références et son
mélange des genres, forcément, L'année du
requin intrigue.
Mais déçoit également. On aimerait pourtant pouvoir se satisfaire
de cette histoire toute bête d'un petit bled du sud de notre pays où
s'entrechoquent meurtres sanglants perpétrés par un requin, une
fliquette qui avant de prendre sa retraite veux mener son enquête
jusqu'au bout, accents girondins et des seconds rôles plus ou moins
intéressants. Le soleil de plomb ne semble pas avoir écrasé que
les seuls personnages primaires et secondaires dont la diction a la
lourdeur de celle du touriste qui s'exprime tout juste après avoir
fait sa sieste. La mise en scène toute en apesanteur estivale
imprime au récit un rythme de saison qui n'a pas davantage d'intérêt
que la lente narration de Ludovic Torrent. On sent pourtant malgré
tout pointer la volonté d'injecter un peu de cynisme à l'ensemble.
Et sans doute de folie bizarre et décalée jusque dans
l'accumulation de cadrages en plongée/contre-plongée dont
l'efficience reste encore mal définie...
Au
bout de trois quarts-d'heure environ, L'année du
requin
prend une tournure tout à fait inattendue. Voire surprenante. On
passe de la comédie horrifique au drame. Une rupture de ton
bienvenue où interviennent les réseaux sociaux, lesquels
s'acharnent alors sur notre pauvre héroïne, incapable de prévoir
et d'empêcher une nouvelle victime. La bande musicale d'Amaury
Chabauty se fait plus pesante, plus douloureuse. Ludovic et Zoran
Boukherma évoquent avec justesse l'implication des réseaux sociaux
formant un tribunal populaire dans lequel tout le monde peut
s'exprimer. Sans être glaçant, cet aspect renforce le côté
dramatique d'un récit où à contrario, les deux jumeaux invoquent
trop timidement cette vérole que l'on nomme Wokisme
quand d'autres n'ont jamais peur de s'attaquer à cette bien-pensance
qui semble désormais se généraliser sur notre territoire (Barbaque
de Fabrice Eboué, donc, mais aussi le délicieusement trash Oranges
sanguines de
Jean-Christophe Meurisse). Le personnage qu'interprète Marina Foïs
(celui de Maja, ais-je oublié de préciser) y quitte enfin sa forme
amorphique et de cette chrysalide dont elle se libère naît une
femme beaucoup plus fragile qu'il n'y paraissait jusque là. De la
comédie vaguement horrifique dont les frères Boukherma avaient
accouché, L'année du requin
se mue quelque part en un drame jamais vraiment bouleversant mais
parfois touchant. Le film repose presque exclusivement sur les
épaules de Marina Foïs puisque la totalité des acteurs qui
l'accompagnent, de Kad Merad et Jean-Pascal Zadi jusqu'aux seconds
rôles, demeurent quasiment insignifiants. Quelques rares effets gore
également, dont certains amuseront ceux qui dénicheront
immédiatement la supercherie (le nez dans le sable). Ça n'est pas
une surprise, mais Kad Merad a toujours autant de difficulté à
jouer sur le thème du drame quant Marina Foïs y arrive quant à
elle sans trop forcer. Bref, si L'année du
requin
demeure moins surprenant que le précédent long-métrage de Ludovic
et Zoran Boukherma et s'il reste forcément moins impressionnant que
celui de Steven Spielberg, vu le nombre de purges qui furent
produites au hasard Outre-Atlantique sur le sujet les décennies
suivantes, le cinéma français peut se vanter cette année de s'être
doté de cette curiosité...
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