Ventajas de Viajar
en Tren de
Aritz Moreno est une expérience assez particulière et en tout les
cas, très proche de celle vécue il il y a une bonne quinzaine
d'années avec le Taxidermia
du réalisateur et scénariste hongrois György Pálfi. Tout comme ce
dernier, l'espagnol aborde son œuvre sous la forme d'un film à
sketchs ou du moins, par l'entremise d'actes multiples progressant
plus ou moins dans un même cadre. Bien qu'étant moins rude qu'il
n'y paraît parfois, Ventajas de Viajar en Tren
comblera
davantage l'appétit des amateurs de bizarreries que les purs esprits
ivres de poésie. Il faut dire que Aritz Moreno n'a pas la langue
dans sa poche et son scénariste le stylo tremblant lorsqu'il s'agit de décrire à
travers divers tableaux la déliquescence de notre civilisation. Une
société au bord du gouffre. Abordant l'amour, la passion, le sexe
et diverses petites gourmandises plus ou moins appétissantes sous un
angle extrêmement cynique, le réalisateur espagnol construit un
château de cartes qui ne décharge aucun des personnages de ses
responsabilités. Si dans le cas de Ventajas de
Viajar en Tren les
amours chiennes n'entretiennent aucun rapport avec le chef-d’œuvre
éponyme réalisé en 2000 par le mexicain Alejandro González
Iñárritu, c'est moins pour son approche du récit et du montage que
pour son propos qui est parfois directement lié à l'évocation que
suscite un tel discours. Bousculant le concept du film à sketchs
dans lequel chaque histoire n'a de lien avec les autres qu'à travers
l'interlude qui les unies, chaque segment de Ventajas
de Viajar en Tren
entretient au contraire un lien important avec les autres, et
notamment entre ses personnages. Ou du moins, celui qu'interprète
l'actrice espagnole Pilar Castro qui dans la peau de Helga Pato va
passer par différentes étapes dont les plus marquantes se situeront
sans doute lors du second acte. Une étape douloureuse, initiatique
et dérangeante lors de laquelle son personnage passera du statut de
femme à celui de chienne, comme en témoignera à titre d'exemple le
collier que son compagnon d'alors lui offrira avant de lui imposer de
le porter en permanence. Vous êtes déjà troublé ? Vous
n’imaginez alors pas ce qui va se produire par la suite. Car
Ventajas de Viajar en Tren
dresse un portrait amer de notre société. Des dérives qui en
découlent et de cette déshumanisation qui menace de s'en prendre à
quiconque n'aura pas pris soin de se mettre à l'abri des
influences extérieures...
Ce
film point trop avare dans sa durée (près de cent-cinq minutes)
décortique l'âme humaine mais ne s'y attaque pas tout d'abord de
manière trop frontale. S'ouvrant sur la personnalité d'un
médecin-psychiatre (Ernesto Alterio dans le rôe d'Ángel
Sanagustín) se confiant à la passagère d'un train (Helga Pato,
donc) au sujet d'un patient atteint de schizophrénie (Luis
''Malveillance
de Jaume Balagueró'' Tosar dans le rôle de Martín Urales de
Úbeda), ce premier acte est, disons, sans doute le plus divertissant
dans ce qu'il a de fantasmagorique à offrir. Une mise en bouche qui
manque peut-être d'un surcroît de folie mais qui aura au moins le
mérite de maintenir l'intérêt du public jusqu'à sa conclusion et
jusqu'à l'ouverture du second chapitre. Un second acte dont la
noirceur et le jusqu’au-boutisme ne doit pas faire oublier que ce
qui y est décrit s'avère relativement réaliste bien qu'abordé de
manière allégorique. Aritz Moreno et son scénariste Javier Gullón
lâchent du lest et rendent à la nouvelle de l'écrivain Antonio
Orejudo Utrilla tous les honneurs qui lui sont dus. En effet, le
second acte n'y allant pas avec le dos de la cuillère, celui-ci
décrit avec une certaine application comment une femme amoureuse et
passionnée découvre le sordide projet de son compagnon sans
pourtant pouvoir rien y faire. D'abord amusant, cet acte diffuse un
parfum de malaise qui ne s'évaporera que grâce à l'apparente
douceur de l'acte qui prendra ensuite la relève. Ce récit entre une
''boiteuse'' et un homme entièrement harnaché d'armatures de métal
délivre cette même poésie typique du cinéma du Jean-Pierre Jeunet
du début du vingt et unième siècle (Le
Fabuleux Destin d'Amélie Poulain)
mais offre surtout une vision faussée de l'amour et du sexe à
laquelle est désormais confrontée notre jeunesse nourrie à
l'Internet, aux réseaux sociaux et aux sites pornographiques. Sous
ses airs de délire trash où l'exploitation des enfants, le
complotisme, la zoophilie et la pornographie côtoient l'amour, la
passion et la poésie, Ventajas de Viajar en Tren
fait
mouche. D'autant plus que l'approche visuelle et esthétique de
l'ensemble des décors et environnements s'avère souvent
remarquable. Comme un mille-feuille constitué de couches successives
délicieusement irrévérencieuses, l’œuvre de Aritz Moreno est
une excellente surprise dans lequel l'inconfort se mêle à un humour
à froid particulièrement réjouissant... Viva
España !!!
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