S'il est assez peu
conventionnel et sans doute encore moins appréciable de voir une
œuvre littéraire être triturée au cinéma dans tous les sens, il
est cependant envisageable d'imaginer que l'écrivain britannique H.
G. Wells aurait sans doute apprécié le travail effectué par le
réalisateur américain John Carpenter sur son formidable
Memoirs of an Invisible Man
même si officiellement, le film et le roman n'entretiennent aucun
rapport. Que le quatorzième long-métrage de l'un des artisans du
fantastique les plus remarquables est inspiré en réalité de
l'ouvrage éponyme de Harry F. Saint plutôt que du célèbre roman
The Invisible Man
publié pour la première fois en 1897 ne change pas le fait que
Memoirs of an Invisible Man évoquera
dans la mémoire collective, l’œuvre de H. G. Wells. Et
pourtant... rien ne semble plus éloigné du mythique roman du
britannique que le film de John Carpenter. Le Griffin littéraire
décrit comme un individu ayant une aversion pour l'espèce humaine
et ici remplacé par Nick Halloway. Un homme charmant, profondément
intègre, amoureux de la belle Alice Monroe, et qui subit les
conséquences d'un accident de laboratoire dont il n'est pas à
l'origine. Plutôt que de plonger peu à peu dans une certaine forme
de démence, le héros de Memoirs of an Invisible
Man
résiste à tout ce qui pourrait en faire un homme mauvais. C'est
sans doute la raison pour laquelle le film lui oppose un antagoniste
de taille en la personne de David Jenkins. Un agent de la CIA
ambitieux et totalement obsédé à l'idée d'entrer en possession de
Nick dont l'invisibilité récente est source de promesses multiples
au sein du gouvernement américain. Mais c'est sans compter sur Nick
qui pressent rapidement le danger d'une telle collaboration alors que
son unique espoir est de retrouver sa forme originale...
C'est
sur ce postulat que repose donc Memoirs of an
Invisible Man.
Une œuvre qui s'éloigne donc du roman de H. G. Wells puisque je le
répète, il s'agit d'une adaptation de celui de Harry F. Saint.
Beaucoup moins sombre que ne l'évoque le récit du britannique, John
Carpenter transforme cette histoire fantastique en un fabuleux
melting pot convoquant autant la comédie que l'action ou le
thriller. La genèse du quatorzième long-métrage de John Carpenter
a ceci de particulier qu'il semblerait que cela soit sur demande de
Chevy Chase qui incarne à l'écran le personnage de Nick Halloway
que soit née la collaboration entre l'acteur et le réalisateur.
Chevy Chase aurait en effet fait appel à l'auteur de New
York 1997,
Christine
ou The Thing
pour l'aider à relancer sa carrière à ce moment là, dans le creux
de la vague. Un ''pari'' qui ne portera pourtant pas ses fruits
puisque le film ayant coûté la modique somme de quarante millions
de dollars, il n'en rapportera finalement sur le sol américain qu'un
peu moins de quinze. Ce qui peut en partie s'expliquer par le fait
que le ''style John Carpenter'' ne se reconnaît pas immédiatement.
À commencer par la bande-originale qui pour l'une des rares fois
dans sa carrière fut signée par un autre compositeur que le
réalisateur lui-même. Une musique qui devait d'ailleurs être à
l'origine confiée au compositeur Jack
Nitzsche (déjà auteur de celle de Starman
également réalisé par John Carpenter en 1984) et qui fut
finalement composée par l'américaine Shirley Walker...
Outre
la formidable mise en scène de John Carpenter qui sait faire preuve
ici d'une infinie délicatesse dans le traitement de son sujet et des
rapports entre Chavy Chase et Darryl Hannah, ce sont bien ces deux là
qui font de Memoirs of
an Invisible Man
une
œuvre remarquable. Bien que l'héroïne de Splash
de Ron Howard en 1984 ne soit employée que dans une minorité de
séquences, surtout durant les deux premiers tiers du film où elle
n’apparaît que rarement, Darryl Hannah incarne une Alice Monroe
émouvante s'intégrant à l'histoire comme un personnage essentiel
et non pas une potiche dont le seul attrait tiendrait dans ses formes
parfaites. L'une des idées de génie de cette version beaucoup plus
optimiste ou en tout cas bien moins sombre du thème de l'homme
invisible que dans les autres adaptations est dans le choix de
n'avoir pas fait de son héros un personnage qui déambule
perpétuellement sous des bandages. En effet, Chavy Chase, qui
excelle véritablement dans le rôle de Nick Halloway, est la plupart
du temps visible à l'écran. Tel un vampire, John Carpenter n'expose
son étrange condition d'homme invisible qu'à travers son absence de
reflet ou lorsqu'il est accoutré de vêtements n'ayant pas subit le
même sort que lui. Face à ce couple charmant que le récit ne
réunira que très tardivement, l'antagoniste est incarné par
l'acteur Sam Neill qui interprétera le rôle principal du démentiel
In the Mouth of Madness
lui-même
réalisé par John Carpenter trois ans plus tard. Il interprète dans
le cas présent l'immonde David Jenkins, dont le timbre raffiné, le
comportement pince-sans-rire et le regard glaçant finissent d'en
faire un antagoniste remarquable. Memoirs
of an Invisible Man
s'écarte des habituelles visions du mythique personnage de l'homme
invisible en lui apportant cette touche d'humanité qui disparaissait
du personnage de l’œuvre originelle. En résulte un long-métrage
formidablement divertissant, amusant, touchant, nanti de superbes
effets-spéciaux numériques et d'une interprétation exceptionnelle
de son principal trio d'acteur(trice)s. Un quasi chef-d’œuvre qui
ne souffre à vrai dire que de menues imperfections ne relevant que
de l'écriture de Robert Collector, Dana Olsen et William Goldman.
Une merveille...
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