Cinéaste italien à être passé maître dans l'art de la
provocation et pour certains dans celui du mauvais goût, Marco
Ferreri abordera les thèmes de l'anthropophagie, du sadomasochisme,
du suicide collectif, de l'automutilation, de la folie humaine sous
toutes ses formes et autres joyeusetés, faisant souvent scandale
comme lors de la projection de La grande bouffe
au festival de Cannes en 1973 où une partie du public les sifflera
lui et son œuvre. Auteur de quelques chefs-d’œuvre comme le
formidable Le Mari de la femme à barbe
dans lequel Ugo Tognazzi y rencontrait une Annie Girardot atteinte
d'hypertrichose, Marco Ferreri n'a pas connu que le bonheur de voir
ses films être hissés au panthéon du septième art puisque I
Love You
fut de manière presque générale descendu par la presse. Tout
d'abord affligé de remarques acerbes lors de son passage à Cannes
(qui depuis un certain temps est devenu le Festival des Cons!) en
1986 lors de sa présentation en compétition, il est vrai que pour
son vingt-cinquième long-métrage (téléfilms compris mais œuvres
collaboratives exclues), Marco Ferreri réalise un long-métrage
plutôt faible, évoquant la curieuse emprise d'un porte-clés en
forme de tête de poupée sur son nouveau propriétaire qui lors
d'une balade trouve l'objet sur le sol... Notre héros prénommé
Michel est-il devenu fou ? La réponse semble être oui, du
moins jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance de Pierre (l'acteur
Marc Berman), ''heureux'' propriétaire lui aussi d'une tête de
poupée dont la seule différence est la couleur des yeux. Objets de
fantasme devenus indispensables pour l'un comme pour l'autre des deux
hommes, ils ont a particularité de prononcer la phrase ''I
Love You''
lorsque l'on siffle. Incarné par Christophe Lambert qui vient tout
de même d'enchaîner avec Greystoke, la légende
de Tarzan de
Hugh Hudson, Subway
de Luc Besson et Highlander
de Russell Mulcahy, pour l'acteur la prise de risque de tourner pour
ce projet apparemment fou du cinéaste italien est énorme. L'on
retrouve le regard et le rire si particulier de l'acteur
franco-américain dont la présence à l'écran est renforcée par
celle de l'acteur et chanteur Eddy Mitchell qui incarne Yves, ami et
voisin un brin collant de Michel, mais aussi celles d'Agnès Soral,
Flora Barillaro, Laurence Le Guellan, Laura Manszky ou de Jeanne
Marine dont les personnages de femmes tombent toutes ou presque
systématiquement et de manière incompréhensible sous le charme du
jeune homme.
Un
individu pourtant très peu entreprenant, voire même distant, ne
s'exprimant que lorsque cela lui semble vraiment nécessaire,
Christophe Lambert apparaît donc dans un rôle quasi autiste, ne
réservant sa parole qu'en de rares occasions et majoritairement à
l'attention de ce petit objet qu'il conserve précieusement, avec
lequel il dort ou part travailler. Une complicité entre l'homme et
cet objet qui répète sans cesse la même petite phrase. I
Love You
mêle ainsi la solitude de son principal personnage, véhiculant une
profonde tristesse dans un univers dont la froideur est parfaitement
retranscrite à l'image. Malgré un sujet qui tourne autour de la
paraphilie et connaissant l'amour de Marco Ferreri pour la
provocation, le long-métrage demeure relativement sobre. En dehors
d'une séquence lors de laquelle Michel se masturbe devant son écran
de télévision sur lequel il vient de fixer la petite tête de
poupée, I Love You
a peu de chance de retourner les estomacs des plus fragiles. Tout au
plus le film emmerdera prodigieusement ceux qui n'auront pas détecté
ces pointes de poésie ou de mélancolie qui traversent pourtant
cette œuvre pas toujours facile d'accès. L'on reprochera sans doute
au réalisateur et à ses interprètes leur approche expérimentale
du sujet et ce que l'on peut déceler comme part d'improvisation dans
le jeu et les dialogues. Le scénario, en outre peu inspiré et
pourtant écrit en collaboration entre Marco Ferreri, Enrico Oldoini
et Didier Kaminka, contraint ses interprètes à tourner en rond sans
que le récit n'évolue réellement. L'ennui du spectateur devenant
ainsi sans doute la projection de celui que vivent ses personnages.
L'on notera tout de même le choix des décors de Jean-Pierre
Kohut-Svelko avec lequel collabora le cinéaste polonais Andrzej
Żuławski dix ans plus tôt sur le bouleversant L'important
c'est d'aimer.
Ce même goût pour les lieux austères qui laissent augurer une
vision monotone dans la vie des personnages. Un univers
''zulawskien''
qui transmet au spectateur une certaine froideur que pas même le
chaleureux timbre de voix de Christophe Lambert ne parvient à lui
transmettre. Bref, I Love You
est un curieux film, dont le contexte évolue peu et plutôt
timidement. Une œuvre mineure dans la carrière de son auteur et
dans laquelle l'on assiste à quelques intéressantes apparitions
(Anémone, Jean Reno) mais qui mérite tout de même d'être
découverte... avant d'être rapidement oubliée...
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