Un an sépare les sorties
des Fauves
de Jean-Louis Daniel et de Adieu Blaireau
de Bob Decout. L'occasion hier soir d'un double programme consacré à
l'un des acteurs français les plus habités de sa génération. Deux
œuvres suintantes. Deux polars moites portées par un Philippe
Léotard déjà sous perfusion d'alcool. Marinant dans son jus, le
frère de l'ancien Ministres des Armées de France François Léotard
incarne notamment dans Adieu Blaireau,
le rôle de Fred. Un acteur de théâtre sans le sou, interdit des
cercles de jeux qui doit une forte somme d'argent à un certain
''Professeur''
qu'incarne de son côté Yves Rénier. Séparé de Brigitte (Juliette
Binoche) qu'il surnomme B.B
et dont il est pourtant toujours fou amoureux, Poupée (Amidou) lui
offre l'occasion de se refaire la main en lui proposant de tuer un
homme contre rémunération. Fred accepte. Entre-temps, il fait la
connaissance de Colette (Annie Girardot), une cinquantenaire qui
vient de passer les cinq dernières années en prison. Dès leur
deuxième rencontre dans un bar bruyant, ils nouent une relation qui
va s'avérer éphémère... Pour son premier des deux seuls
longs-métrages qu'il aura réalisé durant sa carrière (le second,
Les gens honnêtes vivent en France,
ayant vu le jour vingt ans plus tard en 2005), Bob Decout signe une
œuvre franchement déstabilisante. Pour des raisons qui peuvent
davantage échapper au camp des pour qu'à celui des contre, Adieu
Blaireau a
le dur labeur de devoir endosser une réputation peu flatteuse de
mauvais polar. Il faut dire que son écriture est parfois confuse et
que la soliloquie de Philippe Léotard dont la voix semble de plus en
plus usée par l'abus d'alcool n'arrange rien. Une formulation des
dialogues qui n'a pourtant rien à envier à l'univers
particulièrement barré de certains films signés du franco-polonais
Andrzej Żuławski (L'amour braque
et ses flatuosités verbales pouvant être un véritable frein à la
compréhension du récit). Il est vrai que Adieu
Blaireau
est parfois difficile à suivre. Au point de laisser certains
spectateurs sur le bord de la route. Ce mélange de brigands dont on
finit par ne plus comprendre qui fait partie de quelle organisation
criminelle termine d'asseoir l’œuvre de Bob Decout comme l'un des
archétypes du thriller français glauque des années quatre-vingt.
Mais
surtout, Adieu Blaireau,
en mettant tout d'abord en scène Philippe Léotard dans la peau du
principal personnage, lui rend directement hommage en traitant le
sujet à travers certaines habitudes ou certaines passions qu'il
avait contractées comme en témoigna son frère François dans son
livre A mon frère
qui n'est pas mort
en 2003. Acteur, tout comme le personnage de Fred, Philippe Léotard
et son personnage semblent effectivement partager leur amour pour les
femmes ou pour l'alcool, le réalisateur plongeant son protagoniste
dans la nuit. Univers noctambule qu’appréciait également
l'acteur... Si la présence d'Annie Girardot peut s'avérer
relativement étonnante dans ce polar parfois exagérément
étouffant, il est arrivé que l'actrice elle-même ose poser le pied
dans des œuvres plutôt sombres. Comme en témoigna notamment
l'année précédente Liste noire
d'Alain Bonnot dans lequel elle incarnait Jeanne Dufour, la mère
d'une adolescente décédée lors du braquage d'une banque qui
n'était alors plus intéressée que par une seule chose :
venger la mort de sa fille. Bien qu'elle incarne dans Adieu
Blaireau
le personnage de Colette, une ancienne taularde qui n'a donc pas
connu l'amour depuis ces cinq dernières années, les quelques trop
rares séquences qui l'unissent à Philippe Léotard sont un
véritable vent d'espoir et théoriquement un nouveau souffle pour le
personnage de Fred. Mais aussi pour les spectateurs qui découvrent
enfin dans ce brouillard qui colle littéralement à la peau des
personnages et du public, de quoi changer d'air. Car le couple que
les deux acteurs forment ici est vraiment touchant. Même si une fois
encore certains dialogues sont difficiles à déchiffrer. Mais cet
espoir qui naît entre ces deux êtres déchirés ne va, bien
évidemment et malheureusement, pas faire long-feu. Bob Decout
insistant sur le côté nihiliste de cette histoire écrite par ses
soins, on devine que leur ''romance'' va tourner court. Notons la
présence à l'image de Jacques Penot dans le rôle de Gégé, le
meilleur ami de Fred ou de la toute jeune Juliette Binoche qui
n'avait débuté sa carrière que deux ans auparavant et qui dans
Adieu Blaireau incarne
le rôle de Brigitte. Bref, difficile de se faire une opinion franche
et définitive sur cet étrange polar, bancal, moite, totalement
imprégné de la présence de Philippe Léotard. Une œuvre qui en
laissera sans doute une bonne partie indifférent et d'autres, comme
moi, séduits par cet univers carrément désenchanté dans lequel
Philippe Léotard trouve admirablement sa place...
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