De l'aveu même du
réalisateur tchèque Jan Švankmajer, Šílení est
un film d'horreur. Mais la conception du genre pour ce cinéaste
surtout connu pour ses films d'animation surréalistes dont les
origines remontent au milieu des années soixante n'est sans doute
pas la même que la notre. Bien que dans ce cinquième long-métrage
réalisé en cette année 2005 (et ce quarante ans après les débuts
de sa carrière jusque là constituée d'un nombre important de
courts-métrages), l'aspect horrifique n'y est semble-t-il pas
vraiment commun au genre qui nous préoccupe habituellement, Jan
Švankmajer, s'inspire cependant effectivement de divers ouvrages
dont au moins deux appartenant à l’œuvre du romancier américain
Edgar Allan Poe. Le plus significatif d'entre eux demeurant sans
doute The System
of Doctor Tarr and Professor Fether.
Dans le cas de Šílení comme
dans celui de cette nouvelle d'une cinquantaine de pages, il y est
question de folie mais également d'absurde. Cette seconde matière
dont le réalisateur tchèque nourri son œuvre depuis ses débuts.
D'ailleurs, Jan Švankmajer a beau avoir passé la vitesse supérieure
depuis maintenant un certain nombre d'années en mélangeant ses
collages et ses animations à des prises de vue réelles, ces
dernières n'interdisent fort heureusement toujours pas la présence
de séquences typiques de ce réalisateur décidément hors du
commun...
Dès
l'entame, Jan Švankmajer nous prévient : convoquant également
les écrits de Donatien Alphonse François de Sade plus connu sous le
nom du Marquis de Sade, il indique qu'il existe deux manières de
gérer un institut psychiatrique. L'une en laissant une liberté
absolue et l'autre étant plus conservatrice. Mais avec tout l'humour
et le cynisme qui le caractérise mais aussi très sûrement, une
certaine rancœur, Jan Švankmajer évoque une troisième option qui
consiste à faire du monde dans lequel nous vivons, un asile. Ce qui
effectivement n'est pas faux et s'avère même plus vrai que cela ne
l'était il y a encore seize ans en arrière, lorsque fut réalisé
Šílení en
2005. Si plus que jamais le monde perd la tête, celle de Jan
Švankmajer repose pourtant bien sur ses épaules. La patte graphique
de ce cinquième long-métrage renvoie au cinéma de l'un des plus
grands cinéastes allemands de notre époque. Un certain Werner
Herzog dont les Herz aus Glas
(1976) et Nosferatu, Phantom der Nacht
(1979) semblent parfois planer au dessus de Šílení.
Certains personnages sous hypnoses du premier renvoient au héros du
long-métrage tchèque quand beaucoup de décors du second semblent
avoir simplement servi au film de Jan Švankmajer. Ce soucis du
détail qui fait également tout l'intérêt de l’œuvre du
réalisateur qui met encore une fois (on se rappelle notamment
certains visuels proprement incroyables de Lekce
Faust,
son second long-métrage réalisé en 1994) tout son talent au
service de son art et convoque des décors souvent stupéfiants...
De
Sade, Jan Švankmajer retient la légende qui entoure son goût de la
subversion, la sexualité et le libertinage prenant ici une forme
savoureusement blasphématoire. Dominé non pas par le ''héros''
incarné par Pavel Liska mais par Jan Triska, acteur tchèque, mais
surtout une gueule à faire pâlir les grenouilles de bénitier (il
sera amusant de noter qu'il ne se contenta pas uniquement de tourner
dans son pays puisqu'on le verra plus tard et notamment chez Warren
Beatty (Reds,
en 1981), Sam Peckinpah (Osterman week-end,
en 1983) ou Peter Hyams (2010 : L'Année du
premier contact,
en 1984). Sa présence nimbe l’œuvre d'une ambiance trouble. Un
rire et un regard qui en disent long sur la perversité de son
personnage, lequel figure justement le célèbre Marquis de Sade.
Quant au voyage auquel nous propose d'assister Jan Švankmajer, il
n'est pas de tout repos. De la demeure ''carpathienne'' où auront
lieu une inhumation et une renaissance très clairement inspirées de
certaines pratiques égyptiennes jusqu'à un asile dirigé par des
fous dont le directeur et les employés furent enfermés dans les
sous-sols après avoir été enduis de goudron et recouverts de
plumes (!!!), Il y a, avec Šílení,
de quoi perdre parfois son latin mais d'apprécier en revanche la
langue tchèque lors de longs monologues particulièrement inspirés
et proférés par ce substitut du Marquis de Sade. Le film compte un
nombre important de séquences animées lors d'une grande majorité
desquelles, Jan Švankmajer met en scène des pièces de boucherie.
Si le sens de certaines séquences parait immédiatement évident
(les marteaux broyant les os se référant au corps redevenant
poussière après la mort), d'autre conservent en revanche tout leur
mystère. Une œuvre totalement folle qui prend le risque de faire
vaciller la santé mentale de ses spectateurs. Étonnant !
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