Le réalisateur américain
Joe Begos semble avoir une drôle de conception du bonheur,
traduction de Bliss,
son-avant dernier long-métrage. Une mise en abîme de la pratique de
l'art et de la consommation de drogues à haute dose. Un gouffre...
un précipice dans lequel se jette corps et âme une jeune
artiste-peintre prête à sacrifier jusqu'à sa propre existence pour
parvenir à donner vie à sa dernière création. Jusqu’au-boutiste
dans la forme et dans le fond, Bliss
symbolise la recherche du plaisir, l'art créatif, sous couvert d'une
descente aux enfers liée à la consommation d'une drogue qui rendre
très rapidement dépendante Dezzy qu'interprète Dora Madison.
Totalement habitée, l'actrice se met à nu au sens propre comme au
figuré. À poil ou en petite tenue, elle pataugera durant une grande
partie des quatre-vingt minutes que dure le long-métrage, dans le
sang, la tripaille, la gerbe et le stupre. Si le commun des mortels
ne verra peut-être dans cette œuvre qu'une surenchère dans le gore
sous couvert de décrire la lente agonie d'une jeune artiste en mal
d'inspiration victime des effets secondaire d'une drogue
surpuissante, le spectateur habitué de ce genre de productions sera
immédiatement saisi par les nombreuses références qu'évoque tout
ou partie du film...
Des
plus lointains souvenirs cinématographiques vers lesquels Bliss
tend à emprunter certaines idées, on pourrait presque évoquer
Color Me Blood Red
de Herschell Gordon Lewis et son artiste utilisant le sang de ses
victimes pour peindre ses toiles. Un peu plus tard, le peintre de
Driller Killer d'Abel
Ferrara qui en incapacité de produire une œuvre digne de ce nom et
rendu fou par les répétitions incessantes d'un groupe de rock dans
le même immeuble que le sien décide la nuit de dessouder des
quidams à l'aide d'une perceuse. Mais s'il demeure une évidence,
c'est le rapport qu'entretient Bliss
avec l'univers si particulier de Gaspar Noé. Il y a en effet dans
le long-métrage de Joe Begos, autant de Enter
the Void,
de Irreversible
que de Climax.
Même mise en scène vertigineuse, qui donne le tourni, sous couvert
de teintes ''pop'' se dégradant au fil du récit pour ne plus
devenir que rouge carmin. Si dans un premier temps Bliss
se comporte comme un drame, il bifurque cependant très rapidement
vers l'horreur pur avec son thème sur la drogue, de sa consommation
et de ses conséquences sur l'organisme et surtout sur l'état
psychique de son héroïne. De ce point de vue, Bliss
nous en met plein les mirettes. La photographie de Mike Testin est
absolument démente, tout comme la direction artistique de Mike
Lemek... Sans temps morts, Joe Begos ne nous
laisse qu'une poignée de minutes de liberté avant de nous enfoncer
la tête dans des chiottes crasseuses, cuvette tachée de sang
expectoré par l'héroïne, nous donnant une définition bien précise
des effets secondaires en mode ''bad trip''. L'héroïne s'en trouve
alors désorientée, prise d'hallucinations et victime de paranoïa.
Des phénomènes
réellement observables chez certains consommateurs de drogues dures
mais qui dans le cas présent prennent l'allure d'une pub virulente
anti-drogues tant Joe Begos pousse le message à son paroxysme. Dora
Madison est tellement habitée qu'il lui arrive même parfois d'en
faire un peu trop, surtout lorsqu'elle dirige subitement la tête
vers la caméra, ses cheveux collés par l'hémoglobine parvenant
péniblement à s'envoler façon publicité pour les shampooing
L'Oréal
Professionnel.
Le travail de mise en scène et de découpage est absolument
remarquable. Joe Begos n'a absolument pas ménagé ses efforts.
Qu'il s'agisse des mouvements de caméras, du montage, des
éclairages, mais également de la bande-son ultra immersive à base
de metal, de punk et de cold-wave, Bliss
et son héroïne nous hurlent et nous crachent littéralement au
visage. Déjà d'un nihilisme absolu, le film prend ensuite un virage
qui cependant pourra déconcerter. Du (sur)réalisme de la première
heure, ceux qui connaissent bien Abel Ferrara y dénicheront une
autre référence du cinéaste américain underground. En effet, dans
sa dernière phase, Bliss
oblique
vers une thématique chère à Kathleen Conklin, l'étudiante en
philosophie du formidable The
Addiction.
Mais ce qui transparaissait comme une seconde peau indissociable du
thème principal chez Abel Ferrara ferait presque figure de
changement de ton chez Joe Begos qui en bouleversant l'unicité de
son scénario semble involontairement plonger son film dans la
parodie. Mais sorti de ce détail presque insignifiant au regard de
l'incroyable mise en scène, de l'interprétation et du visuel, Bliss
est une expérience aussi immersive qu'inconfortable. Culte!
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