Si l’œuvre du cinéaste
britannique Nicolas Roeg, disparu en novembre dernier se révèle
parfois si déroutante, c'est parce que certains détails y demeurent
énigmatiques. Une approche narrative qui dans des genres aussi
divers que la science-fiction (The Man Who Fell
to Earth )
ou l'épouvante comme tel est le cas avec ce Don't
Look Now inspiré d'un récit de Daphne Du Maurier qui
nous intéresse ici, peut se révéler effectivement surprenante.
Partant d'un postulat de départ relativement clair (un couple
d'anglais tente de se reconstruire en Italie quelques temps après la
mort de l'un de leur deux jeunes enfants), ce long-métrage traduit
chez nous sous le titre Ne Vous Retournez Pas
est considéré à « juste
titre »
comme un authentique chef-d’œuvre du fantastique britannique.
Principalement incarné par l'acteur canadien Donald Sutherland et
par l'anglaise Julie Christie, le film de Nicolas Roeg confronte les
spectateurs aux souvenirs éminemment prégnants des parents pour
leur fille morte noyée dans l'étang de leur propriété anglaise.
A
l'issue de la projection, il demeure un sentiment de désespoir
terrible pour Laura et John Baxter qui face à la tragédie, et face
à l'expression qu'ils arborent en société, gardent en secret le
poids de l'horreur d'une manière radicalement différente. D'un
côté, Laura, qui après sa rencontre avec deux vieilles dames, les
sœurs Heather et Wendy, dont l'une est aveugle et voyante (!!!), est
persuadée de pouvoir entrer en communication avec sa fille décédée.
De l'autre, il y a John, qui espère remonter la pente en se
concentrant presque exclusivement sur le projet de restauration d'une
église que lui a confié l’évêque Barbarrigo. Deux points de vue
que tout oppose. Entre l'espoir de Laura et cette fausse tentative
d'oubli de John qui rejette en bloque les révélations de son épouse
au sujet de leur fille prétendument entendue par une voyante.
Ce
couple, cela est très clair, s'aime profondément. Nicolas Roeg
l'établit à travers des séquences aussi touchantes qu'un diner au
restaurant, ou tout simplement la scène durant laquelle ils font
l'amour. Inséparables devant l'adversité, le récit prend cependant
une tournure plus qu'étrange et fantastique. Éthérée même jusque
dans ces plans surréalistes et envoûtants d'une Venise hivernale
plongée sous une chape de brume de plus en plus dense. L’œuvre de
Nicolas Roeg danse sur deux pieds. D'un côté, on se passionne pour
cette partie du récit qui se penche sur l'élément surnaturel dont
on ne saura cependant jamais vraiment s'il faut y voir un réel
message de l'au-delà ou la simple élucubration de la part de deux
vieilles folles dont l’attrait pour le rire et la boisson laisse
envisager la pire des désillusions pour Laura. De l'autre, John
vogue dans un contexte réaliste, refusant de se laisser emporter par
la même émotion que son épouse.
Longtemps
l'on doute. Si d'un côté certains éléments nous plongent dans une
incertitude cauchemardesque (toujours cette brume épaisse et des
séquences dignes des rêves les plus angoissants, à l'image de
Laura, embarquée à bord d'une gondole-corbillard et demeurant
sourde aux appels d'un John demeuré à quai), de l'autre, le
spectateur n'aura d'autre choix que de croire à ce conte faussement
optimiste qui débouche sur une conclusion carrément pessimiste.
Nicolas Roeg réalise une œuvre dramatico-fantastique relativement
inconfortable. Criant leur douleur, les personnages incarnés par
Donald Sutherland et Julie Christie nous apparaissent troublants comme
deux âmes en peine dans un univers qui ne leur appartient pas. Comme
le doux frisson du dépaysement qui parcourt l'échine de la nuque
jusqu'au bas du dos, le spectateur n'assisterait-il pas à
l'éclatement du couple à la suite du drame ? Considéré
outre-Manche comme un chef-d’œuvre, il le demeure sans doute un
peu moins chez nous, d'où les guillemets en début d'article.
En
forme d'abstraction, rimant avec attraction (ce qu'est évidemment l'oeuvre de Nicolas Roeg), l'attrait que provoque le film est sans
doute moins évident dans l'hexagone et à notre époque qu'il ne le
fut l'année de sa sortie et en Grande-Bretagne. Néanmoins, ce
long-métrage qui fait étrangement écho au superbe Obsession
(lequel se déroulait cette fois-ci à Florence) que réalisa le
cinéaste américain Brian de Palma trois ans plus tard mérite son
statut de chef-d’œuvre, que l'on partage la vision toute
personnelle de son auteur ou non. Un classique !
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