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samedi 16 février 2019

Don't Look Now de Nicolas Roeg (1973) - ★★★★★★★★☆☆



Si l’œuvre du cinéaste britannique Nicolas Roeg, disparu en novembre dernier se révèle parfois si déroutante, c'est parce que certains détails y demeurent énigmatiques. Une approche narrative qui dans des genres aussi divers que la science-fiction (The Man Who Fell to Earth ) ou l'épouvante comme tel est le cas avec ce Don't Look Now inspiré d'un récit de Daphne Du Maurier qui nous intéresse ici, peut se révéler effectivement surprenante. Partant d'un postulat de départ relativement clair (un couple d'anglais tente de se reconstruire en Italie quelques temps après la mort de l'un de leur deux jeunes enfants), ce long-métrage traduit chez nous sous le titre Ne Vous Retournez Pas est considéré à « juste titre » comme un authentique chef-d’œuvre du fantastique britannique. Principalement incarné par l'acteur canadien Donald Sutherland et par l'anglaise Julie Christie, le film de Nicolas Roeg confronte les spectateurs aux souvenirs éminemment prégnants des parents pour leur fille morte noyée dans l'étang de leur propriété anglaise.
A l'issue de la projection, il demeure un sentiment de désespoir terrible pour Laura et John Baxter qui face à la tragédie, et face à l'expression qu'ils arborent en société, gardent en secret le poids de l'horreur d'une manière radicalement différente. D'un côté, Laura, qui après sa rencontre avec deux vieilles dames, les sœurs Heather et Wendy, dont l'une est aveugle et voyante (!!!), est persuadée de pouvoir entrer en communication avec sa fille décédée. De l'autre, il y a John, qui espère remonter la pente en se concentrant presque exclusivement sur le projet de restauration d'une église que lui a confié l’évêque Barbarrigo. Deux points de vue que tout oppose. Entre l'espoir de Laura et cette fausse tentative d'oubli de John qui rejette en bloque les révélations de son épouse au sujet de leur fille prétendument entendue par une voyante.

Ce couple, cela est très clair, s'aime profondément. Nicolas Roeg l'établit à travers des séquences aussi touchantes qu'un diner au restaurant, ou tout simplement la scène durant laquelle ils font l'amour. Inséparables devant l'adversité, le récit prend cependant une tournure plus qu'étrange et fantastique. Éthérée même jusque dans ces plans surréalistes et envoûtants d'une Venise hivernale plongée sous une chape de brume de plus en plus dense. L’œuvre de Nicolas Roeg danse sur deux pieds. D'un côté, on se passionne pour cette partie du récit qui se penche sur l'élément surnaturel dont on ne saura cependant jamais vraiment s'il faut y voir un réel message de l'au-delà ou la simple élucubration de la part de deux vieilles folles dont l’attrait pour le rire et la boisson laisse envisager la pire des désillusions pour Laura. De l'autre, John vogue dans un contexte réaliste, refusant de se laisser emporter par la même émotion que son épouse.

Longtemps l'on doute. Si d'un côté certains éléments nous plongent dans une incertitude cauchemardesque (toujours cette brume épaisse et des séquences dignes des rêves les plus angoissants, à l'image de Laura, embarquée à bord d'une gondole-corbillard et demeurant sourde aux appels d'un John demeuré à quai), de l'autre, le spectateur n'aura d'autre choix que de croire à ce conte faussement optimiste qui débouche sur une conclusion carrément pessimiste. Nicolas Roeg réalise une œuvre dramatico-fantastique relativement inconfortable. Criant leur douleur, les personnages incarnés par Donald Sutherland et Julie Christie nous apparaissent troublants comme deux âmes en peine dans un univers qui ne leur appartient pas. Comme le doux frisson du dépaysement qui parcourt l'échine de la nuque jusqu'au bas du dos, le spectateur n'assisterait-il pas à l'éclatement du couple à la suite du drame ? Considéré outre-Manche comme un chef-d’œuvre, il le demeure sans doute un peu moins chez nous, d'où les guillemets en début d'article.

En forme d'abstraction, rimant avec attraction (ce qu'est évidemment l'oeuvre de Nicolas Roeg), l'attrait que provoque le film est sans doute moins évident dans l'hexagone et à notre époque qu'il ne le fut l'année de sa sortie et en Grande-Bretagne. Néanmoins, ce long-métrage qui fait étrangement écho au superbe Obsession (lequel se déroulait cette fois-ci à Florence) que réalisa le cinéaste américain Brian de Palma trois ans plus tard mérite son statut de chef-d’œuvre, que l'on partage la vision toute personnelle de son auteur ou non. Un classique !

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