Petit cycle consacré aux
trois longs-métrages en noir et blanc que le cinéaste
franco-polonais Roman Polanski tourna entre 1962 et 1966. Et comme
l'indique l'intitulé, la chronologie ne sera par conséquent pas
respectée. En réalité, il ne s'agit pas non plus d'une
antéchronologie puisque Le Couteau dans l'Eau,
Répulsion et
Cul-de-Sac seront
traités dans le désordre. C'est ainsi donc que le cycle débutera
par Répulsion, qui dans la chronologie des événements
se situe en deuxième position. Pourquoi celui-ci plutôt que l'un
des deux autres ? Pour une raison simple : depuis sa
découverte il y a environ une trentaine d'années, ce film me hante.
Comme me hantera sans doute à tout jamais Le Locataire que
son auteur signa onze plus tard.
Il y a, dans Répulsion,
un peu de moi. De celui que j'étais et que j'espère ne plus jamais
redevenir. Tout comme le personnage de Carol Ledoux, interprété par
l'actrice française Catherine Deneuve, j'ai connu les affres de la
paranoïa, ce trou béant dont on a l'impression que l'on ne
parviendra jamais à s'extraire. Dans une moindre mesure, fort
heureusement. Pas de cadavre plongé dans la baignoire, ni même de
propriétaire retrouvé derrière le canapé, le visage lacéré à
coups de rasoir à main. En cherchant bien, vous trouverez sur
Cinémart, un article déjà consacré à Répulsion.
Mais après l'avoir relu, j'ai bien senti qu'il lui manquait un peu
de profondeur et de maturité et qu'il me faudrait m'y replonger.
L'attirance pour ce film
vient sans doute également de vieux souvenirs qui eux, n'ont rien à
voir avec une quelconque névrose. De ces très vieux immeubles, j'ai
conservé un souvenir ému. Des marches d'escaliers en bois qui
craquent sous la semelle, aux fenêtres donnant directement sur les
toits en ardoise grise de Paris. L'intrigue de Répulsion
se situe, elle, à Londres, en Angleterre. On y croise la silhouette
fragile de la jeune et jolie blonde Carol, installée avec sa sœur
dans l'un de ces vieux immeubles, face à un monastère où vivent de
joyeuses bonnes sœurs. Des nonnes éveillant parfois la curiosité
de Carol en faisant sonner la cloche juchée au sommet de leur tour
ou en jouant à la balle au prisonnier.
Mais tout commence
d'abord par ce gros plan dans l’œil de Carol. Toute la folie,
toutes les obsessions semblent y être projetées. Et lorsque la
caméra dé-zoome et enclenche un travelling arrière, on en a la
confirmation. Son esprit est déjà ailleurs, mais on ne devine pas
encore ce qui la harcèle. Si la jeune femme parvient encore à vivre
autrement qu'enfermée dans l'appartement qu'elle partage avec Hélène
Yvonne Furneaux), c'est peut-être parce que son métier lui
« facilite » l'existence. Manucure, elle a la chance
de ne croiser que des femmes, à une époque où les hommes n'ont pas
encore cette curieuse habitude de venir se faire épiler les jambes.
Eux, travaillent dehors, SUR un chantier et SOUS un soleil
caniculaire. Et lorsqu'ils prennent leur pose, leur vient l'envie de
« brancher » Carol, qui passe justement devant eux
à ce moment-là de la journée. Sous leurs sarcasmes, Carol reste
muette, distante, comme si elle suspectait qu'on allait s'en prendre
à elle.
Un sourire de façade,
qui s'efface aussi rapidement qu'il est apparu sur ses lèvres. Carol
face à Colin (l'acteur John Fraser). L'amoureux transit. Mais
l'est-elle de son côté ? Pas vraiment. Pas du tout. Au bord
même du dégoût, de l’écœurement. A en faire des cauchemars
nocturnes récurrents. Carol s'invente un rendez-vous le soir même,
pour éluder l'invitation de Colin, forcément déçu. Et puis, c'est
le retour à l'appartement. Cet exigu petit logement qui la protège
du monde extérieur. Mais plus pour très longtemps. Car Hélène a
un petit ami. Il s'appelle Michael (Ian Hendry) et il est encombrant.
Enfermé dans la salle de bain lorsque Carol veut s'y rendre, il
laisse partout traîner les marques de sa présence. Carol cède au
désir de le voir partir. Mais Hélène, elle, n'accède pas à la
demande de sa soeur. Jusqu'au jour où le couple va prendre quelques
vacances et laisser Carol, seule dans l'appartement. Seule avec un
lapin, seule avec ses peurs...
Roman Polanski élude de
manière remarquable des mystères insondables. Cette fissure, dans
le mur... Carol est-elle seule à la voir ou Hélène est-elle
consciente de sa présence ? C'est par un truchement plutôt
malin (l'arrivée de Michael au moment même où Carol parle de la
fissure à sa sœur) qu'il interdit à ses personnages de nous donner
la réponse à cette question que l'on se pose pourtant forcément.
Mystères, mais aussi « symboles », comme ce lapin
qui aurait dû finir dans le four mais qui désormais servira
d'échelle de valeur dans la dégradation psychologique de notre
héroïne. Si la peur de l'homme est l'un des sujets centraux de
Répulsion, Roman Polanski développe cette hantise à
travers des procédés qu'il réutilisera plus tard comme l'invasion
domestique avec Le Locataire.
Durant ces périodes de forte activité délirante, la jeune femme
perçoit le viol comme aboutissement aux agressions fantasmagoriques
dont elle est victime.
Psychologiquement,
Répulsion
parvient à ses fins. Le film est aussi troublant à voir que les
visions que Carol doit supporter. Par petites touches, la folie
s'installe, ne laissant plus guère de place à cette minuscule part
de raison qui semblait encore faire surface chez elle au début. Dans
un superbe noir et blanc, Polanski condamne Carol à être enfermée
à jamais, la jeune femme se cloîtrant elle-même après le meurtre
sordide de Colin. La simplicité apparente de la mise en scène
dissimule en réalité une quantité de plans appuyant le thème
abordé de la folie. Catherine Deneuve incarne parfaitement Carol,
l'appartement demeurant à lui seul un personnage dont l'existence se
révèle fondamentale. Et si rien ne nous est vraiment révélé sur
les origines du trouble, on peut très facilement fantasmer sur la
toute dernière image du film. Silencieuse mais terriblement
convaincante...
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