L'univers dans lequel
évolue le cinéma du réalisateur, scénariste, producteur et
directeur de la photographie autrichien Ulrich Seidl peut engendrer
diverses émotions. Fascination, répulsion, moquerie ou déception.
Entre documentaires et fictions, l'homme a établi l'un de ces
nouveaux modèles en matière de provocation, agitant les grelots de
la bien-pensance pour les jeter contre un mur ou au vide-ordure et ne
conserver de son art que la facette la plus douloureuse et la plus
crue. Models
est l'un de ces premiers pavés qu'il jeta dans la mare en 1999 en
s'intéressant à trois mannequins dont la beauté parfois toute
relative aura bien du mal à cacher le chemin de croix par lequel
Viviane, Lisa et Tanja auront été contraintes de passer pour
parvenir à grimper les différentes marches menant au succès. Le
triomphe de la beauté n'étant pourtant pas ici très clairement
synonyme de réussite professionnelle puisque nos trois héroïnes
qui malgré des préoccupations qui nous dépassent généralement
vont devenir au fil du récit plus ou moins attachantes, la déchéance
de l'une ou les projets de maternité d'une seconde vont permettre à
Ulrich Seidl d'exposer différents points de vue chez ces femmes qui
décidément ne cessent de nous surprendre. Celle dont le réalisateur
semble se préoccuper davantage de la personnalité est Viviane
qu'interprète Vivian Bartsch. Tout comme les deux autres actrices
qu'il met ici en avant, la jeune femme incarne ici son premier rôle
au cinéma. Celui d'une jolie jeune femme à l'ambition dévorante,
capable de se donner corps et âme pour y arriver. Du moins jusqu'à
ce point de rupture où l'instinct maternel viendra tout remettre en
question. Compagne de Werner (Werner Hotzy) avec lequel elle vit
depuis quelques mois, Vivian passe son temps entre les séances de
shooting et les boites de nuits où elle retrouve plusieurs de ses
copines dont Lisa et Tanja. Si cette dernière, interprétée par
Tanja Petrovsky, accuse un temps de présence à l'image beaucoup
moins important que les deux autres, Lisa (Lisa Grossmann), se
positionne quant à elle comme la caricature ultime de la blonde
décérébrée dont on ne peut cependant pas nier qu'elle attire
l'empathie à force d'évoquer cette perdition vers laquelle tend ce
personnage immature, sorte de Barbie peroxydée, botoxée, siliconée
et perpétuellement défoncée à la coke !
En
deux heures, Ulrich Seidl laisse au spectateur le temps de
s'accoutumer à cette vie désespérément superficielle filmée au
temps où le traitement de ces jeunes femmes par certains
professionnels ne risquait pas de mener ces derniers devant les
tribunaux. Il reste ici quelques traces d'Ulrich Seidl liés à ses
travaux passés de réalisateur de documentaires puisque sous
l'officiel apparat de la fiction, Models
semble prendre ses interprètes sur le vif et les filmer dans leur
''milieu naturel'' avec ce sens du décorum minimaliste qui
n'appartient qu'au genre. Mais surtout, le long-métrage montre une
facette de la profession peu reluisante. Où la prise de drogues,
l'anorexie, la chirurgie esthétique semblent parfois entrer dans le
cadre du mannequinat. Si le réalisateur autrichien est également
conscient des dérives liées à la profession, le personnage de
Vivian n'en est pas moins lucide concernant les sacrifices qu'elle se
doit d'engager si elle veut parvenir jusqu'à la plus haute marche,
s'amusant même de cette situation, notamment lors de sa rencontre
avec ce photographe professionnel renommé qu'elle tente d'amadouer à
l'aide de ses charmes. Clinique et névrosé, Models
éveille finalement la curiosité poussant le spectateur à aller
plus loin dans cette étrange expérience de cinéma où le vérisme
côtoie la fiction lors d'un ballet où se confondent l'un et
l'autre. Malgré la vacuité généralisée des préoccupations
tenues par nos trois jeunes héroïnes et des environnement froids et
impersonnels qui contrastent avec l'imaginaire qui se crée dans la
tête de ces petites filles qui rêvent un jour de gloire en
arpentant les pages glacées des magazines de mode, Models
est un véritable uppercut, moins voyeuriste qu'il n'y paraît.
Malgré la nudité, son rapport à la sexualité ou son approche
pessimiste du métier de mannequin, Ulrich Seidl signe ici une œuvre
profondément humaine, qui bouleverse nos habitudes de cinéphiles,
premier vrai grand pavé dans la mare d'une filmographie dont son
auteur ne cessera d'examiner à la loupe l'âme de ses légions de
personnages....
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