Les œuvres
cinématographiques offrant si peu de concessions à la joie de vivre
sont rares. C'est peut-être d'abord pour cela que Megalomaniac
de Karim Ouelhaj est si précieux. La Belgique, ce Plat Pays conté
dans nombres de chansons et qui parfois fait la une des journaux
jusque dans l'hexagone et qui accoucha dans les années quatre-vingt
dix d'un tueur en série insaisissable demeurant encore de nos jours
inconnu. Surnommé le Dépeceur
de Mons par
la presse locale, l'individu se rendit responsable de cinq meurtres
de femmes dont les corps furent retrouvés découpés, enfermés dans
des sacs-poubelle et dispersés dans la nature entre le 21 janvier
1996 et le 18 octobre de l'année suivante. Une cellule du nom de
Corpus
entièrement dédiée à cette affaire est alors créée mais le
manque d'effectifs et de moyens ne permettront pas de mettre un nom
sur l'assassin de ces femmes âgées entre vingt-deux et
quarante-trois ans. Pour son cinquième long-métrage, le réalisateur
et scénariste liégeois ne fait absolument pas dans la dentelle. Le
titre de son dernier film repose moins sur le concept de narcissisme
que sur celui d'emprise mentale et physique du tueur sur ses
victimes. Le pouvoir de vie et de mort qu'exerce l'assassin n'est pas
sans rappeler les œuvres précédentes de Karim Ouelhaj pour qui la
question des violences faites aux femmes est primordiale, comme une
litanie qui persévère dans le cinéma du belge quel que soit le
thème abordé. Ici, la quintessence est atteinte à travers le
portrait de ce curieux couple formé à l'écran par Eline Schumacher
et Benjamin Ramon. Dans le rôle de Martha, une femme de ménage
employée dans une usine, et dans celui de son frère Félix, dont le
plus gros des journées semble être exclusivement consacré à la
traque et au meurtre de ses victimes, les deux interprètes incarnent
des individus saisissants. Megalomaniac
s'inspire
donc très librement de l'affaire du Dépeceur
de Mons
puisque comme dans la réalité, Félix dépèce et disperse le corps
de ses victimes dans la nature. Les similitudes entre le fait-divers
et la fiction semblent par contre s'arrêter à ce sordide détail.
Et
puisque l'on ne sait rien sur les origines du véritable tueur, Karim
Ouelhaj invente au sien un passé traumatique. D'une noirceur et
d'une violence inouïes dont rien de positif n'émerge, pas même
cette hypothétique passion qui étreint le couple sœur/frère
(symbolisée par un fantasme incestueux visuellement remarquable), le
long-métrage de Karim Ouelhaj offre un spectacle dont la beauté est
en partie façonnée par les horreurs commises par Félix mais aussi
grâce à l'admirable travail effectué par le directeur de la
photographie François Schmitt. Teintes névrosées à l'image d'une
héroïne tourmentée par son apparence, par les actes ignobles
perpétrés sur elle par ses infâmes collègues de travail mais
aussi sans doute par les crimes commis par son frère (on ne sait pas
pendant longtemps dans quelles mesures Martha est au courant des
agissements de son frère), Megalomaniac
afflige à la quasi totalité de ses protagonistes des tares
particulièrement gratinées. Car en dehors de Félix et de sa sœur,
la liste des ''monstres'' à visage humain les réduit à l'état de
bêtes immondes. À commencer par l'acteur liégeois Pierre Nisse qui
dans le rôle de Luc s'inscrit dans la parfaite démonstration du
pervers misogyne, violant et humiliant à répétition Martha sur son
lieu de travail. Assez narcissique sans doute pour ne pas voir le
piège qui se refermera sur lui et ses deux ''complices''. Quentin
Lasbazeilles qui dans la peau du collègue de Luc est le toutou du
sombre individu, contraint de suivre les pas de son ''maître'',
choisissant la sodomie comme terrain d'exploration du corps de la
femme. Et puis, il y a Jérôme (l'acteur Wim Willaert que j'eus le
plaisir de découvrir pas plus tard qu'hier dans l'excellente comédie
noire Music Hole
de Gaëtan Liekens et David Mutzenmacher). Témoin muet des sévices
endurés par Martha, il ira rejoindre les deux autres sur le terrain
de la vengeance organisée par la jeune femme et son frère. Joyau
brut et mare putride dans laquelle s'enfoncent irrémédiablement les
personnages, grandeur visuelle de la putrescence, incarnations
habitées, mise en scène au cordeau, Megalomaniac
est
un choc cinématographique dont son auteur volerait presque la
première place à son compatriote Fabrice du Welz qui dans la
noirceur et le désespoir est l'un des maîtres-étalons du septième
art. Bref, une claque à découvrir de toute urgence...
Dire que si j'avais ta productivité et même si mes chroniques relatent chacune deux ou trois films, j'en aurais déjà terminé avec mon blog... :-)
RépondreSupprimerTiens, je t'ai croisé sur le Deblocnot' (sur un article mis en ligne par erreur, effacé puis remis en ligne, sans les commentaires), où il m'arrive d'intervenir (incognito), même si je ne suis pas très amateur de leur ligne éditoriale.