Comment se relever au
lendemain d'une catastrophe qui a tout détruit, tué des amis ou
tout ou part d'une famille, fait disparaître tous vos biens et
changé radicalement le paysage ? Certains font comme ils ont
toujours eu l'habitude de faire : ils continuent à se noyer
dans l'alcool et battent leur fils sans raison apparente. D'autres
ont choisi de relever les manches et de se remettre au travail
histoire de construire des baraques de fortune à partir des vestiges
du passé. Si les plus anciens tentent de donner l'exemple, la jeune
Keiko Chazawa, poussée par sa passion pour la poésie et par
l'attirance qu'elle éprouve envers Yuichi Sumida, fait montre d'un
optimisme que même la catastrophe de Fukushima ne semble pas avoir
ébranlée. Démarrant sous l'air du sublime Adagio pour cordes
du compositeur américain Samuel Barber (1910-1981), la caméra de
Himizu
(traduisible sous le titre ''Le
feu et l'eau'')
traverses un champ de ruines. Un territoire dévasté par un tsunami
ayant réellement eu lieu le 11 mars 2011. C'est à dire l'année
précise du tournage et de la sortie dans son pays de ce long-métrage
signé du réalisateur japonais Sion Sono. Une vision mortifère
s'accompagnant d'un message très clair : existe-t-il encore un
semblant d'intérêt à vouloir poursuivre son existence ? C'est
la question que semble poser ce rêve que fait le jeune Yuichi
(l'acteur Shōta Sometani) qui dans les décombres et à l'intérieur
d'une vieille machine à laver à trouvé une arme. Œuvre
multicouche, Himizu
questionne non pas seulement sur cet état de fait qui semble miner
l'état d'esprit du jeune héros au point qu'il pourrait avoir envie
de s'ôter la vie mais également sur quoi faire de ce père qui le
bat comme l'on fume simplement une cigarette après une longue
journée de travail. Quitte à repartir de zéro, autant se
débarrasser de tout ce qui pouvait entraver son existence passée.
Survient alors Keiko (l'actrice Fumi Nikaidō), jeune et jolie
camarade de classe de Yuichi, rêveuse, qui connaît par cœur le
poème Ballade des
menus propos
du poète français du Moyen-Âge, François Villon.
Jeune
fille apparemment pleine de vie mais qui cache des blessures
similaires à celles de Yuichi. Deux âmes sœurs qui s'attirent et
se repoussent comme les deux pôles d'un aimant. Ça n'est plus tant
la catastrophe qui est au centre du récit que la lente désagrégation
psychologique d'une partie des habitants d'un pays dans la tourmente,
balayé par des vents grésillant au son des radiations nucléaires.
La folie s'empare d'une partie de la jeunesse qui emploie le couteau
comme seul discours. Des meurtres de masse en série, une révolte
qui prend le goût et la couleur du sang. On retrouve là la patte de
Sion Sono, cette maîtrise totale de la mise en scène partant d'un
postulat complexe débouchant sur une œuvre ''boursouflée'' par
d'innombrables sous-intrigues qui pourtant trouvent toutes leur place
et leur justification. Il aura, pour cela, fallut bien deux bonnes
grosses heures pour que le japonais développe un récit touffu basé
sur le manga éponyme de Minoru Furuya. Au vu du contexte, on
pouvait s'attendre à ce que Sion Sono fasse preuve d'un peu plus de
''pudeur'' dans sa mise en scène qu'à son habitude. Mais chassez le
naturel et il revient au galop, comme on dit. Derrière cet hommage
aux victimes de la catastrophe de Fukushima se cache aussi et avant
tout, l'un de ces récits dont l'auteur de Guilty
of Romance
ou de Strange Circus
est familier. Le drame est rude, cruel et parfois même, nihiliste.
Sion Sono dépeint des tableaux qui parfois soulèvent le cœur, des
attitudes que certains trouveront peut-être parfois hypertrophiées.
Le voyage ne sera évidemment pas de tout repos. Ici, le cinéaste
laisse peu de place à l'imaginaire fertile qui habite son esprit et
traite le sujet avec davantage de réalisme et donc nettement moins
de fantaisie. Sombre comme le sol fangeux de la baraque à bateau
dont Yuichi devient le gérant au départ de ses parents, Himizu
tétanise par sa vision pessimiste quasi permanente que n'arrivent
qu'en de très rares occasions à contrebalancer certains passages.
Comme ces séquences qui montrent une Keiko enjouée malgré les
horreurs qu'elle vit au quotidien dans son propre foyer. Ailleurs,
des individus se repaissent de la tragédie en faisant leur beurre
sur ceux qui n'ont d'autres solution que de se laisser asservir. Mais
surtout, Himizu est
une formidable histoire d'amour, peu évidente à dénicher au
premier abord, laquelle soulève elle aussi le cœur, mais pour des
raisons bien différentes. Bouleversant, parfois choquant, entre
cauchemar et romantisme, drame et thriller, Himizu
prouve une fois encore l'importance du cinéma de Sion Sono non
seulement à l'échelle de son pays mais aussi de la planète toute
entière. Brillant...
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