Décidément, Sion Sono
ne cessera jamais de nous étonner. Derrière Guilty of Romance
se cache le parfait descendant du remarquable Strange
Circus
que le réalisateur et scénariste japonais réalisa six ans
auparavant. Une nouvelle fois l'on est confrontés à des personnages
complexes, dont certaines valeurs morales vont être perverties par
une approche du sexe et de l'amour déviants. Guilty
of Romance
atteint cette même intensité qu'à l'époque où son auteur osait
aborder le difficile sujet de l'inceste. Il en demeure d'ailleurs ici
quelques stigmates qui vont tracer la route de l'une des héroïnes
féminines du récit. Car ce sont bien les femmes qui sont mises à
l'honneur dans ce long-métrage fleuve disponible dans un montage
original de plus de cent-quarante minutes. Une durée en forme de
test de résistance au style si particulier d'un Sion Sono aux anges
lorsqu'il s'agit de ponctuer son œuvre de visions sinistres,
nihilistes et surtout, très graphiques. Sous forme de chapitres et
intervenant à diverses échelles du temps, des destins semblent se
croiser dans un univers où le sexe sans amour se tarifie selon les
désirs ou les moyens du client. On pourrait pratiquement comparer le
japonais à l'indo-américain M.Night Shyamalan tant les deux hommes
aiment surprendre leur public en invoquant des twists parfois fort
surprenants ! Chacun conservant bien entendu son propre style.
Il y a dans le cas de Guilty of Romance
des évidences qui sautent immédiatement aux yeux et d'autres qui
n'interviennent qu'en dernier recours. Histoire de frapper une
dernière fois l'esprit du spectateur qui pourtant est déjà au sol
depuis deux bonnes heures. Après un premier chapitre qui honore à
sa manière très lumineuse, humide et parfois ouatée tout un pan du
cinéma érotique japonais des années soixante et soixante-dix, Sion
Sono change le moteur qui fait avancer sa principale héroïne
(l'actrice Megumi Kagurazaka, qui est également l'épouse du
réalisateur, dans le rôle d'Izumi Kikuchi) dans sa passion pour son
époux écrivain d'ouvrages romantiques. Employée d'un supermarché,
faisant quotidiennement la promotion d'une nouvelle marque de
saucisses (un signe avant coureur ?), Izumi rencontre un jour une
femme qui devant la beauté de son visage lui propose de participer à
une séance-photos...
Alors
que Strange Circus
était facilement comparable au chef-d’œuvre d'Alejandro
Jodorowsky Santa Sangre,
certains rapports familiaux de Guilty of Romance
tendent à se rapprocher de l'univers propre à celui du réalisateur
polonais Andrzej Żuławski et notamment celui de l'héroïne de La
femme publique.
Si ce dernier s'imprégnait du sujet entourant l'ouvrage Les
possédés de
l'écrivain russe Fiodor Dostoïevski, le long-métrage de Sion Sono
évoque à son tour Le
château
du romancier austro-hongrois Franz Kafka dans lequel le héros K
cherchait à entrer en contact avec les autorités d'un village sans
pour autant parvenir à accéder au Château
en question. Le réalisateur ne tergiverse pas longtemps sur la
question du sexe en employant les grands moyens dans cette descente
aux enfers enivrante où la passion et l'amour laissent la place au
sexe tarifé et à la jouissance (im)pure. Comme à son habitude,
Sion Sono transforme le matériau brut dont il est lui-même l'auteur
et le confond à une intrigue policière mettant en scène
l'inspectrice Kazuko Yoshida (l'actrice Miki Mizuno) lors d'une
enquête sur la mort et la mutilation d'une femme dont nous
ignorerons l'identité jusqu'au terme d'un récit foisonnant où la
luxure est très explicitement décrite. À ce titre, nous
retiendrons les performances corporelles du trio d'actrices
principales que complétera Makoto Togashi qui interprète le rôle
de Mitsuko Ozawa. Si Sion Sono semble vouloir donner une image
licencieuse de la femme, la plaçant dans des postures et un désir
entièrement voués au plaisir de la chair, certaines d'entre elles
témoignent d'un désir beaucoup plus profond. Disparition du père,
absence de contact charnel de la part de l'époux, aimé et même
admiré. Photographié par Sōhei Tanikawa, Guilty
of Romance projette
sur le visage des héroïnes diverses lumières, selon leur état
émotionnel et fait de l'authentique quartier des
Love Hotels
de
Tokyo, un lieu de luxure qui prend toute sa mesure la nuit tombée.
Entre frustration et sexualité totalement débridée, l’œuvre de
Sion Sono perpétue le grand œuvre
cinématographico-musico-littéraire de son auteur. Pénétrant et
foisonnant...
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