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mercredi 15 février 2023

Elephant Man de David Lynch (1980) - ★★★★★★★★★☆

 


 

Tout commence sur une image ambiguë. Le portrait d'une femme définie comme étant la mère de Joseph Merrick, bousculée par un groupe d'éléphants. Si aucune explication n'avait été apportée quelques minutes plus tard par le personnage de Bytes sur les origines de celui qui deviendra en grandissant ''L'homme-éléphant'', nous aurions pu imaginer quelque histoire beaucoup plus sordide. Car après Eraserhead et la naissance d'un bébé né de la peur de paternité, l'immense David Lynch aurait tout aussi bien pu considérer sa nouvelle créature comme le fruit d'un accouplement entre une femme et un pachyderme (sic!). D'autant plus qu'il aurait été autorisé d'évoquer un tel acte contre-nature sans savoir que la mère de Joseph Merrick (Dans le film, David Lynch reprend le prénom John sous lequel le docteur Frederick Treves nomma l'homme en question dans son ouvrage, The Elephant Man and Other Reminiscences) Mary Jane Potterton et son père Joseph Rockley Merrick conçurent un enfant à priori tout à fait normal et dont les premiers symptômes n'apparurent qu'un peu avant ses deux ans. Le fait-divers ne rejoignant alors pas la fiction... Bien que Elephant Man soit à l'origine un film de commande proposé à l'auteur de Eraserhead par le réalisateur, scénariste et producteur Mel Brooks (lequel fut conquis après avoir découvert le tout premier long-métrage de David Lynch), cette seconde étape dans la formidable carrière cinématographique du réalisateur originaire de Missoula dans le Montana ne concède en réalité que peu de choses sur sa manière d'envisager son œuvre puisque Joseph Merrick pourrait tout aussi bien être envisagé comme l'évolution physique du bébé prématuré et monstrueux de son premier film...


Le noir et blanc, aussi superbe soit-il et le sound-design confirmant sans doute que Elephant Man est bien le prolongement de Eraserhead. Imaginons que le bébé ait survécu, qu'il ait été dérobé à ses parents et qu'il fut vendu bien des années après à l'infâme Bytes afin que celui-ci en tire des profits en l'exhibant dans une foire et l'on tient là le chaînon manquant qui relie les deux œuvres. Sauf qu'entre les deux longs-métrages, David Lynch passera d'un budget de 10 000 dollars à celui, beaucoup plus imposant de 5 millions de dollars. De quoi faire perdre la tête à n'importe quel cinéaste... sauf lui. D'une beauté transcendée par le choix du noir et blanc et la reconstitution du Londres de la fin du dix-neuvième siècle, Elephant Man est d'abord une bête curieuse avant d'être un chef-d’œuvre du septième art. Comme pu l'être en son temps le film maudit de Tod Brownind, Freaks, la monstrueuse parade même si cette fois-ci, la créature n'est faite que de latex. Le second long-métrage de David Lynch convie tout d'abord la nature humaine dans ce qu'elle a de plus représentative : curieuse, méfiante, odieuse, voire monstrueuse. Et l'on ne parle pas là de cette foule qui se rue sur le monstre de foire ni de la créature elle-même mais plutôt de ceux qui en font le commerce. Un film en noir et blanc qui traite avant tout du Bien et du Mal, de l'humanité et de la barbarie. Et surtout, du droit à la différence...


''Il est l'exemple même du crétinisme total. C'est un demeuré congénital... Je l'espère en tout cas''

(Dr Frederick Treves)


Trois mondes se télescopent dans Elephant Man dont deux pour lesquels un rapprochement aurait été purement et simplement inenvisageable. Il y a d'un côté, le Londres des miséreux où vivent regroupés les marginaux, les prostituées et plus généralement, les pauvres. D'un autre, la grande bourgeoisie, constituée de notables, d'hommes d'affaire ou de commerçants. Entre eux, la faculté de médecine où pratique le chirurgien Frederick Treves. Humaniste connu pour avoir été le premier à avoir effectué une appendicectomie, sa fonction, ici, lui fait observer une attitude apparemment pas très éloignée de celle de Bytes (qu'incarne l'acteur britannique Freddie Jones). Du moins en apparence puisqu'il présente lors d'un assemblée de médecine, John Merrick et ses nombreuses difformités. La relation entre son exhibition dans les foires et cette séquence cliniquement froide constitue en fait un lien entre la vie passée de l'homme-éléphant (John Hurt, dans un rôle authentiquement bouleversant) et sa vie future, loin de la crasse et de la barbarie (l'homme étant jusque là coutumier des coups de bâtons ''accordés'' par son geôlier/propriétaire) et plus proche d'une certaine culture du ''paraître'', de la ''convenance'' et de l'intelligentsia. Anthony Hopkins interprète le chirurgien avec beaucoup de force et d'honnêteté. À la recherche permanente de nouvelles découvertes en matière de recherche mais aussi préoccupé par la santé mentale et physique de son nouveau patient, l'acteur britannique incarne un homme profondément humain...


Œuvre prestigieuse, dotée d'un somptueux noir et blanc et d'une interprétation remarquable, tout projet de commande qu'il put être, Elephant Man n'en est pas moins un long-métrage marqué du sceau de son auteur. Si formellement, le film est d'une maîtrise totale bien que très classique dans sa narration, limpide et radicalement opposée à la complexité de certains projets futurs du réalisateur américain, David Lynch adopte le même type d'effets sonores que lors de son premier long-métrage. Un fond presque assourdissant semblant avoir été extrait des zones industrielles parcourues par le héros Henry Spencer (Jack Nance) de Eraserhead. Mais si le cauchemar s'arrête ici à la seule évocation d'un homme physiquement repoussant, à l'apparence effroyable ainsi qu'à son tortionnaire et à cette impitoyable foule qui le traque jusqu'à l'acculer dans des recoins, c'est pour mieux transmettre l'humanité, la finesse et l'intelligence de John Merrick camouflée sous l'épiderme d'un homme à l'apparence monstrueuse. Sorti en octobre 1980 aux États-Unis et en avril 1981 dans notre pays, Elephant Man est un très beau film, bouleversant, un monument du septième art et une merveilleuse entrée en matière dans l'univers de David Lynch... Joseph Merrick (5 août 1862-11 avril 1890), Frederick Treves (15 février 1853-7 décembre 1923)... À noter que suite au succès du film dans les salles, Eraserhead sera à nouveau exploité au cinéma sous le titre de... Labyrinth Man !!!

 

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