C'est davantage par
curiosité que par intérêt pour le réalisateur Alex Garland qui
était parvenu à me séduire avec Ex machina en 2014
mais m'avait déçu avec son second long-métrage Annihilation
trois
ans plus tard que je me suis lancé dans la projection de Men.
Un titre tout auréolé de symboles phalliques mais aussi et surtout
d'une réputation sulfureuse pas toujours très élogieuse. C'est
ainsi qu'en fuyant tout ce qui renvoie à la culture post
#MeToo
et à certains de ses récipiendaires toujours prompts à jeter de
l'huile sur le ''nœud'', que par goût de la douleur psychologique
j'ai à mon tour choisi de me vautrer bière et cornet de frites bien
grasses en main dans mon fauteuil. Et de laisser se dérouler
l'action d'une œuvre qui a priori avait plus de chance de me
déplaire que de conquérir mon cœur. Brouillant les pistes avec son
final aussi incompréhensible que visuellement effarant, le
revirement de Annihilation
ressemblait au type qui pour éviter que son embarcation ne finisse
au fond d'une rivière la vidait à l'aide d'une petite cuillère.
Men,
lui, semble être la version longue de ce délire visuel dont on aura
eu du mal à se remettre mais qui survint alors que l'on avait déjà
abandonné tout espoir d'apprécier à sa juste valeur la manière
dont le script du réalisateur fut mis en scène. Là où l'on peut
dire qu'Alex Garland jette toutes ses tripes sur la table, c'est
lorsque le bonhomme fait preuve de talent en matière d'esthétique.
Qu'il s'agisse de son second long-métrage où ici de son troisième,
le réalisateur britannique sait s'y prendre pour nous décrire des
univers aussi enchanteurs qu'inquiétants. Pourtant, là où auraient
dû s'éveiller mon esprit de contradiction et celui de la rébellion,
ceux-ci sont demeurés en sommeil. Car si certains ont semble-t-il
(entre)aperçu durant une grande majorité du récit un message
nauséabond visant le mâle sous toutes ses formes et toutes ses
coutures (du plus simple appareil à celui de l'homme de foi), il
faut d'abord apprécier la chose sous son angle artistique : en
effet, si Men
est dans la continuité de Annihilation,
c'est pour son style visuel pourtant beaucoup plus réaliste mais
filmé de telle manière que l'on a parfois le sentiment que
l'héroïne incarnée par l'actrice Jessie Buckley vit à la lisière
entre notre univers et un second, dans lequel elle a choisi de se
réfugier. Un monde bientôt perverti par la présence masculine d'un
et même de plusieurs personnages tous interprétés par le même
acteur, Rory Kinnear !
Battue
par un homme qu'elle a choisi de quitter et dont elle fut témoin du
suicide, Harper par s'installer à la campagne dans une superbe
demeure afin d'y trouver la tranquillité et la sérénité.
Malheureusement pour elle, le Mal semble s'être tapis et harcèle la
jeune femme. Prenant le visage du propriétaire des lieux, d'un homme
nu errant dans les parages, d'un flic, d'un client de bar et même
d'un prêtre portant comme les trois précédents le même visage,
Men
paraît dès lors vouloir se refuser à faire la moindre distinction
entre les hommes et faire de l'attitude d'un seul, celle de tous ceux
de son espèce. Comme l'indiquent très clairement la niaiserie de
certains dialogues et l'attitude contrite de l'héroïne dont nous ne
distinguerons aucun signe d'exubérance, Men se
situe entre le plaidoyer mollasson et le film d'horreur Lovecraftien
où l'indicible est désormais visible. La normalité peu à peu
glisse vers une accumulation de séquences qui indéniablement
marquent au fer rouge une œuvre qui au fond repose moins sur sa
thématique que sur le formidable travail d'esthète d'Alex Garland.
Et de ce point de vue là, on peut considérer la tâche très
honnêtement accomplie. Si le britannique paraît insister lourdement
sur l'image qu'il offre de l'homme, il faut cependant peut-être y
voir simplement l'obsession d'une femme traumatisée par l'attitude
de celui qui partagea son existence avant de sauter du haut de leur
immeuble. Soyons fous et allons jusqu'à imaginer qu'elle soit tombée
dans l'un de ces repères où la consanguinité a fait son œuvre
comme celle-ci paraît l'avoir notamment fait dans l'excellent
Calvaire
du belge Fabrice Du Welz ! Avec Alex Garland, tous les hommes
naissent et demeurent libres (de frapper leur femme) et égaux en
droits (et en cruauté). Lourds, libidineux, pédants, il n'en
demeure pas un pour rattraper les autres. Et face à eux se place une
frêle jeune femme planquant ses formes sous un énorme pull à col
roulé et un pantalon informe...
''Je
sais déjà où tu es''...
C'est à partir de ces quelques mots que le troisième long-métrage
d'Alex Garland commence à porter ses fruits même si jusque là on
pouvait avoir déjà noté la déviance de certaines situations (la
séquence se déroulant dans l'étrange tunnel). Un
poison qui mettra tout de même plus d'une heure avant d'envahir tout
l'espace et plonger l'héroïne dans un cauchemar visuel et auditif
saisissant. Harper a croqué la pomme et semble s'être alors saisie
d'un sortilège menant à quarante minutes de pure folie. Les
musiciens et compositeurs Geoff Barrow et Ben Salisbury signent une
partition musicale et sonore absolument phénoménale. Un argument se
suffisant à lui seul puisque même les yeux fermés, l'imaginaire du
spectateur s'y déploiera sans soucis. Accouplés à certains visuels
cauchemardesques (Harper, le visage plongé dans la baignoire,
s'arrachant presque la mâchoire dans un hurlement silencieux),
chants ''sacrés'' et drone
music
s'accouplent pour le bonheur de celui qui aime voir explorées des
situations inédites. La faiblesse de Men,
c'est en revanche son écriture. En effet, on ne peut pas dire que le
scénario soit à l'aune de l'imagerie, ce qui empêche au
long-métrage de devenir une véritable révolution dans les domaines
de l'horreur et de l'épouvante. Un film, c'est un tout. Pourtant, le
réalisateur semble préférer se reposer presque exclusivement sur
le travail effectué par le directeur de la photographie Rob Hardy et
le décorateur Mark Digby. Alex Garland ne parvient malheureusement
pas à transcender son sujet. Malgré les images et le son. Malgré
les fulgurances graphiques (et gore). Malgré les effets-spéciaux
(l'acteur Rory Kinnear démultiplié). Malgré l'interprétation...
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