Sentir, voir, toucher ou
entendre sont des facultés inestimables. Mais ce qui l'est peut-être
encore davantage est cette aptitude à ressentir en soi des émotions.
Celles-ci irriguent notre cerveau mais aussi notre corps tout entier.
IMAX, 4DX, ces nouveaux systèmes qui permettent sur grand écran de
vivre le cinéma beaucoup plus intensément que par le passé. Une
alternative coûteuse (entre 15 et 20 euros dans le meilleur des cas)
et qui, me semble-t-il, n'a pas encore été mis à disposition des
foyers (rectifiez si je me trompe). Et pourtant, avec un peu
d'ingéniosité et de patience, il est possible de vivre chez soi, de
telles expériences. Mais alors, comment s'y prendre ? Faire
comme aujourd'hui, par exemple. Et attendre que la pluie se décide
enfin à tomber, comme elle s'est déclarée voilà une quinzaine de
minutes. C'est dans ces conditions un peu particulières où le
Soleil a disparu derrière les nuages et où le bruit de millions de
gouttes tombant successivement sur le pavé dénigre tout besoin de
silence que j'ai démarré la projection de Sous le sable
de François Ozon. Son quatrième long-métrage seulement et
pourtant, sans doute, l'un des plus riches émotionnellement et
néanmoins des plus sobres. Dix ans avant qu'il ne surenchérisse
dans la caricature et le théâtral avec son Potiche
qui selon moi fut beaucoup trop surestimé, Sous
le sable
revient à ce climat particulièrement trouble qui gravitait autour
de cette histoire simple que partageaient les deux interprètes
féminines du moyen-métrage Regarde la mer.
Énigmatique et empli de sous-entendus, le titre lui-même soulève
des questions alors même que le générique d'ouverture n'a pas
encore débuté. S'il pleut ici à grosses gouttes pour un temps
indéterminé, le contraste avec ce qu'il adviendra de Bruno
Cremer/Jean Drillon, disparu après s'être jeté dans la mer,
renforce ce sentiment de malaise qui persiste autant que la moiteur
du climat qui nous est imposé depuis deux mois. Point culminant
(parmi tant d'autres) d'une œuvre profondément intrigante, la
caméra de François Ozon pose un regard insistant sur celui de
l'actrice britannique Charlotte Rampling...
Une
Charlotte Rampling dont on ne célèbre d'ailleurs que très rarement
la chaleur... Visage froid, presque de marbre, regard triste...
François Ozon a pourtant su saisir ici toute sa beauté, la rendant
ainsi plus rayonnante que jamais. Filmant l'actrice de manière
obsessionnelle, la caméra, toujours elle, la cadre au plus près,
sous tous les angles et dans des ébats amoureux puis sexuels
terriblement voluptueux. Curieusement, Sous le
sable
projette l'image d'un long-métrage qui sera réalisé longtemps plus
tard, en 2017 et aux États-Unis, par le cinéaste américain David
Lowery. Car en effet, rien ne rapproche davantage A
Ghost Story
que le film de François Ozon avec sa thématique renversée dans
laquelle ça n'est plus tant l'héroïne qui cherche à conserver
l'image de son défunt mari mais le fantôme de ce dernier qui se
détermine à demeurer dans l'entourage de sa bien aimée. Si David
Lowery allait dix-sept ans plus tard tourner un drame ouvertement
fantastique, François Ozon fait œuvre en 2010 d'une ambiguïté
renforcée par la disparition avérée de l'époux dont la mort,
elle, reste encore à déterminer. Car Sous le
sable
est d'abord et avant tout un vibrant et très puissant hommage à
l'amour. Épaulé par Marina de Van mais également par Emmanuèle
Bernheim et Marcia Romano à l'écriture, le réalisateur français
signe un long-métrage profond, discret, sensible, touchant et se
distinguant par une force d'évocation remarquable. Discrète, la
partition musicale de Philippe Rombi, fidèle collaborateur de
François Ozon depuis Les amants criminels
réalisé un an auparavant, nuance au même titre que la mise en
scène et l'interprétation un sujet éminemment grave porté par la
sensibilité de chacun. Le cynisme coutumier du français s'efface
derrière les sourires parfois inattendus de son héroïne qui ne
semble pas se chercher de raison d'oublier celui que l'on suppose
avoir disparu à jamais. Triple hommage à la passion, l'amour et son
interprète principale, vingt-deux ans après sa sortie, Sous
le sable
demeure parmi les plus brillantes réussites de François Ozon...
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