Il est loin le temps où
le réalisateur japonais Jōji Iida nous servait sur un plateau l'un
de ces films trash et expérimentaux de l'ampleur de Kikuropusu.
L'urgence est ici d'un genre bien différent puisque l'on passe de la
dégénérescence du génome humain à une catastrophe ferroviaire
concentrant une partie de son intrigue à l'intérieur d'un tunnel
situé au cœur d'une montagne. Un site perpétuellement agité de
soubresauts qui risquent à tout instant de faire s'effondrer sur les
rares protagonistes des millions de mètres cube de roche. Ici, il
s'agira moins d'évoquer le manga de Mochizuki Minetaro à l'origine
de l'adaptation cinématographique que du film Doragon
Heddo
lui-même. Contrairement aux habitudes typiquement occidentales qui
prennent conscience de l'importance de la caractérisation des
personnages, l’œuvre du réalisateur japonais ne prend tout
d'abord pas en compte cette donnée fondamentale. Exit donc ces
dizaines de minutes d'exposition consacrées aux divers intervenants
qu'ils soient bons ou mauvais avant que la catastrophe ne survienne.
Lorsque démarrent les aventures de Teru Aoki, Nobuo Takahashi et Ako
Seto, les trois seuls survivants du déraillement d'un train à
grande vitesse, le tragique événement s'est déjà produit et l'on
découvre d'emblée ses terribles conséquences. Des wagons sortis de
leurs rails, une obscurité anxiogène, l'idée d'un air qui pourrait
se raréfier, mais aussi des dizaines, des centaines de cadavres qui
très rapidement risquent de pourrir sous l'action d'une chaleur
étouffante. Loin des zombies et autres infectés du cinéma nippon
(Dernier train pour Busan
de Sang-ho Yeon), de la science-fiction post-apocalyptique à
caractère social et politique (Snowpiercer, le
transperceneige de
Bong Joon-ho) ou plus simplement du film catastrophe Teoneol
de Kim Seong-hoon auquel le long-métrage de Jōji Iida se raccorde
relativement aisément, Doragon Heddo
évolue dans un contexte où le sentiment d'angoisse et d'abord
relayé par la présence d'un antagoniste parfois plus inquiétant
que l'idée que nos trois survivants puissent être condamnés à
mourir par asphyxie ou écrasés par des tonnes de roches...
Car
parmi ces trois jeunes étudiants qui en compagnie de leur école et
de leurs professeurs ont fait le chemin inverse d'une destination qui
nous demeurera inconnue, il se trouve que l'un d'eux (Nobuo Takahashi
qu'interprète Takayuki Yamada) paraît être victime de sévères
troubles psychiatriques. Un problème qui va se révéler être
compliqué à gérer pour ses deux compagnons d'infortune mais que
l'on mettra sur le compte d'une maltraitance de la part de certains
de ses camarades désormais décédés dans l'accident. Il est
toujours risqué d'adapter un manga sur grand écran, surtout lorsque
l'ouvrage d'origine est particulièrement apprécié par les fans de
ce genre de littérature. C'est donc hors contexte que l'on jugera
sur pièces des qualités et des éventuels défauts que livre ce
long-métrage qui prend son temps puisque sa durée dépasse de très
peu les deux heures. Ce qui au demeurant pourra tout d'abord
inquiéter vu que durant presque trois quart-d'heure, le récit se
concentrera sur l'affrontement verbal et physique entre Nobuo et Teru
Aoki (l'acteur Satoshi Tsumabuki, lequel remportera le Prix du
meilleur acteur aux Kinema Junpo Awards de 2004). La pauvre Sayaka
Yamada (actrice et chanteuse japonaise qui perdit malheureusement la
vie en tombant de la fenêtre d'une chambre d'hôtel à seulement
trente-cinq ans) tient jusque là la chandelle au deux interprètes
masculins dont Takayuki Yamada se pose tout d'abord en victime puis
en caricature parfois outrancière d'un mal être transformé en
furie ! L'on quitte ensuite ce qui tendait à être le tombeau
de nos trois jeunes étudiants pour découvrir ensuite un
''extérieur'' qui ne sera pas moins terrifiant...
Un
paysage de désolation plutôt convainquant quoique l'image soit
percluse de diverses couches de filtres. Un environnement qui laisse
surtout entendre que ce qui apparaissait alors comme une ''simple''
catastrophe d'ordre naturel (l'effondrement d'une partie de la
montagne) pourrait être d'une ampleur autrement plus cataclysmique.
La bande musicale signée du compositeur japonais Yoshihiro Ike se
révèle tantôt efficace, et même souvent magnifique, mais retombe
parfois dans des redites tribales d'un niveau relativement puéril.
Le meilleur et le pire s'y mêlent comme autant de séquences
marquantes et de passages redondants et inutiles. Pourtant le film se
renouvelle suffisamment pour que le récit ne paraisse pas durer des
plombes et ce, jusqu'à renouveler son parc de personnages et
d'environnements. Quelques divagations aux cœurs des ruines, visions
morbides de montagnes de cadavres, courses-poursuites, cascades et
affrontements plus tard, on en revient avec le sentiment que Doragon
Heddo
aurait pu être un très grand film. Et même une référence. Malgré
sa grande générosité plastique due notamment à la très efficace
photographie de Junichirō Hayashi, il manque au long-métrage de
Jōji Iida cet éclair de génie qui sied aux maîtres-étalons du
genre. Il n'empêche que l'aventure vaut le détour même si
visiblement, les fans du manga original se sont parfois montrés d'un
tout autre avis...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire