En une dizaine de
longs-métrages, le réalisateur danois Nicolas Winding Refn aura
bâtit une filmographie quasiment exemplaire. Chacun y trouvera de
quoi contenter sa passion pour l'approche typiquement scandinave du
thriller. Et parmi la récurrente excellence de sa mise en scène
l'on notera que Fear X n'est
certes pas le plus connu d'entre tous mais qu'il demeure tout de même
parmi les sommets d'une carrière extrêmement avare en terme de
déception. Réalisé en 2003, le troisième long-métrage de Nicolas
Winding Refn fait figure d'hémisphère cérébral droit auquel son
auteur choisira de joindre dix ans plus tard, son excellent Only
God Forgive,
complétant ainsi cette matière généralement grise mais qui dans
les deux cas s'enrobera d'un rouge carmin véritablement marquant.
L'un et l'autre étant généralement les plus mésestimées des
œuvres du danois, elles n'en dégagent pas moins une très grande
force d'attraction. Concernant Fear X,
le scénario que le réalisateur signera lui-même, adaptant ainsi
l'ouvrage de l'écrivain américain Hubert Selby Jr, offre au récit
un statut à part. Ici, le thriller n'étant pas synonyme d'action,
de fusillades ou de courses-poursuites, l'intrigue nous convie à
explorer l'âme d'un homme déchiré par la disparition récente de
son épouse. Et pour incarner le héros Harry Caine, qui mieux que le
toujours formidable John Turturro ? Point trop d'effort n'est
exigé de la part de l'acteur tant la lecture de ses expressions
faciales suffit à nous éclairer sur la douleur, les émotions et le
manque que ressent cet agent de sécurité travaillant dans un centre
commercial. Des sentiments terribles qu'il ressent bien évidemment
depuis que la femme de sa vie a été tuée par balle par un inconnu
alors qu'elle venait rejoindre son époux sur le lieu de son travail.
La police enquête et possède même une photo du tueur assez floue,
laquelle ne parvient malheureusement pas à aider les inspecteurs à
mettre un nom sur son visage. Harry lui aussi mène ses propres
investigations. Se repassant des heures d'enregistrements de caméras
de sécurité du centre commercial qu'un ami lui procure sous le
manteau. Jusqu'au jour où en s'introduisant dans la maison se
situant en face de la sienne, il met la main sur une pellicule
contenant un lot de photographies qu'il s'empresse de faire
développer. Sur l'une d'elles, il lui semble reconnaître le visage
d'un homme semblable à celui que lui a présenté la police. Harry
décortique la photo sous tous les angles et parvient à découvrir
qu'elle fut prise dans une petite ville de l’État du Montana...
Ce
qui au mieux pourrait passer pour de l'omniscience et au pire pour
des facilités d'écriture assez peu crédibles va en fait nourrir un
récit qui sous des dehors languissants va permettre à Nicolas
Winding Refn de développer un scénario ambitieux quoique parfois
ténébreux. Douze ans après avoir déjà parcouru de long en large
les couloirs de l'hôtel du chef-d’œuvre de Joel et Ethan Coen
Barton Fink,
voici que déambule dans ceux de Fear X
(également
connu sous le titre Inside Job)
un John Turturro véritablement habité. Nicolas Winding Refn semble
parfois se confondre dans des univers proches de ceux décrits par un
certain David Lynch, les sous-sols où mènent notre héros
l'ascenseur de l'hôtel réfléchissant cette même obscurité que
l'angle improbable de l'appartement de Fred Madison dans l'incroyable
Lost Highway
qui vit le jour six ans auparavant. La séquence la plus
insignifiante prend ici une tournure hypnotique sans équivalant. Et
encore et toujours grâce à l'interprétation toute en retenue et
pudeur mais non dénué d'expressivité de son principal interprète.
La séquence lors de laquelle une jeune femme lui propose ses
services étant particulièrement significative. Le trouble étant
moins relatif à l'hypothèse selon laquelle celle-ci et Harry
pourraient avoir une relation sexuelle que dans l'idée
particulièrement dérangeante qu'une femme puisse s'immiscer dans le
cœur (ou plutôt, dans l'entrejambe) d'un homme qui vient tout juste
de perdre la femme de sa vie. Dépassés les débordements graphiques
des œuvres antérieures de Nicolas Winding Refn, Fear
X est
d'une finesse et d'une sobriété exemplaires. Si la quête du grand
méchant loup est primordiale pour le héros, pour le spectateur elle
demeurera lettre morte puisque le danois ne nous fera pas don d'un
monstre auquel le scénario pouvait prétendre. Il n'y a donc
pratiquement que des victimes. De hasard malheureux, collatérales ou
porteuses de valeurs morales tronquées. Aux côtés de John
Turturro, on notera les présences de la canadienne Deborah Kara
Unger ou de James Remar. Quant à la partition musicale
particulièrement glaçante qui parcourt l’œuvre dans son
entièreté, elle est en partie signée par le grand Brian Eno. Une
musique ambiant littéralement obsédante qui colle parfaitement au
récit et aux personnages. Un grand moment de cinéma...
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