Ce qui saute
immédiatement aux yeux, ou du moins dans les premières minutes que
s'y déroule le récit de Titane,
ce sont ses influences. Celles dont la réalisatrice française Julia
Ducournau aurait beau nous faire croire qu'il ne s'agirait que de
coïncidences, pour autant le spectateur ne pourrait se laisser
berner. Combien n'ont cessé de répéter que le Crash
de David Cronenberg était sans doute sa principale source
d'inspiration ? Mais combien ont par contre évoqué John Carpenter ?
Et pourtant, il y a bien dans cet acte d'amour étrange et dérangeant
entre l’héroïne Alexia incarnée par l'actrice Agathe Rousselle
et cet engin doté d'une vie propre, un point commun avec la
proximité entre Arnie et la voiture Christine du chef-d’œuvre
éponyme que réalisa le cinéaste américain John Carpenter près de
quarante ans plus tôt. À cela nous ajouterons Tous
les dieux du ciel
de Quarxx pour son côté ''Freak''
que nous rappellent sans cesse les personnages de Simon Dormel et sa
sœur Estelle qu'interprétaient alors Jean-Luc Couchard et Mélanie
Gaydos, images auxquelles nous renvoient forcément Vincent (Lindon)
et Alexia. Quoi d'autre ? L'accouchement douloureux d'Isabelle
Adjani dans le métro berlinois, scène mythique et traumatisante de
Possession
du réalisateur polonais Andrzej Zulawski tourné en 1981. Et
peut-être, pour finir, à moins que d'ici là d'autres idées ne
viennent en tête du cinéphile qui se cache en certain d'entre nous,
le David Lynch de Lost Highway
et ce curieux transfert d'identité (schizophrénique?) qui s'opérait
en cours de route et qui dans le cas présent est un acte de survie
pour l'une, et un acte d'amour pour l'autre...
Tout
cela pour nous raconter quoi ? Une histoire qui, aussi crue
qu'elle puisse être, argumentée par des propos qu'il valait mieux
laisser de côté en se ruant dans les salles, s'avère moins
alambiquée que certains le prétendaient. Nourri par sa présence au
festival de Cannes, lui et ses spectateurs peu enclins à être aussi
durement rudoyés, le long-métrage de Julia Ducournau a rapidement
joui d'une réputation exceptionnelle qui souvent fait la curiosité
d'un certain public avide de sensations nouvelles. D'où cette
nécessité de demeurer sourd aux critiques, si élogieuses
furent-elles en majorité pour aller découvrir la chose en salle
l'esprit vierge. Ou laisser l'événement dérouler son scénario et
y revenir des mois, ou peut-être même, des années après sa sortie
originelle. Au sortir de la projection, il demeure une certitude :
celle que Grave,
le précédent long-métrage de la réalisatrice française reste
infiniment supérieur à Titane.
De ce choc tant attendu, des critiques dithyrambiques, des prix que
le film remporta, dont la palme d'or au festival de Canes 2021, que
reste-t-il ? Une œuvre qui ne cache pas bien longtemps
certaines de ses intentions. Comme cette relation entre un père et
son supposé fils, prénommé Adrien, et dont l'identité est usurpée
par une tueuse en série qui pour fuir l'avis de recherche dont elle
est la cible, se rapproche de celui qui ''croit'' au retour
providentiel de sa progéniture !
À
quel moment devine-t-on les desseins de la réalisatrice, également
auteur du scénario ? Immédiatement. C'est sans doute là toute
la subtilité du jeu et de la direction d'acteurs que d'avoir semé
le trouble tout en permettant cependant au plus grand nombre de
deviner ce qui déjà, fera le sel de la conclusion. Et puisque la
mémoire se ravive à nouveau, pourquoi ne pas évoquer également le
film culte du japonais Shin'ya Tsukamoto, Tetsuo
tant qu'on y est ? Dans cette liste certainement non exhaustive,
Crash
apparaîtra finalement comme une influence mineure ou du moins, égale
aux autres films cités. L’œuvre de Julia Ducournau aborde des
thèmes d'actualité auxquels la réalisatrice semble être attachée.
Sans pour autant la taxer d'opportuniste ''Woke'',
cette culture hygiéniste traverse pourtant une bonne partie de son
film. La transformation physique de l'actrice Agathe Rousselle,
absolument stupéfiante, en est un brillant exemple. Le cauchemar
tant attendu n'a pour autant pas vraiment eu lieu. Si quelques
séquences viendront troubler le sommeil des néophytes, en
comparaison du ''Body
Horror''
cher à David Cronenberg ou certaines automutilations
cinématographiques particulièrement insoutenables (Dans
ma peau
de Marina de Van), Titane
paraît gentillet. Et même, parfois involontairement drôle. On ne
reviendra cependant pas sur les qualités techniques du long-métrage.
La photographie de Ruben Impens, les éclairages, le design sonore,
la bande-son (inoubliable Passion
selon Saint Matthieu
de Jean-Sébastien Bach) qui font de Titane une
expérience parfois enrichissante. Voire même bouleversante. Pas sûr
cependant que dans cinq ou dix ans l'on se souvienne comme au premier
jour du second long-métrage d'une réalisatrice qui a tout de même
le courage de bousculer les conventions. Alors, Julia Ducournau...
pendant féminin de Gaspar Noé... ?
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