En l'espace d'une poignée
de minutes quasi muettes, le réalisateur américain Howard Hawks
posait en 1959 les bases d'un scénario relativement simple mais
étayé par une interprétation absolument irréprochable. Quelques
minutes durant lesquelles pas un mot n'est prononcé et où seule
résonne la musique du compositeur américain d'origine russe
Dimitri Tiomkin auquel a fait ponctuellement appel le réalisateur
durant sa carrière. Dean Martin y incarne d'emblée l'alcoolique
Dude, adjoint du shérif, visage huileux, membres pris de
tremblements, regard dispersé. Un véritable rôle de composition
pour un acteur qui, ironie du sort, tutoyait de la bouteille une fois
accomplit son métier, retrouvant ainsi les membres du Rat Pack
dont il faisait partie avec, entre autre, Frank Sinatra et Sammy
Davis, Jr. Un adjoint capable néanmoins de se servir de son colt
avec une précision inouïe comme le démontrera très vite le
personnage. Face à Dude, l'infâme Joe Burdette (l'acteur Claude
Akins), qui se joue avec délectation de l'état de dépendance
déplorable dont est victime l'adjoint du shérif. Figure même de
l'éleveur aisé se croyant au dessus de toute loi et de toute
morale, l'homme a la gâchette facile. Et après avoir humilié Dude,
le voici qui se rend très rapidement responsable du meurtre d'un
homme qui tenta de l'arrêter dans sa démarche. L'arrivée du shérif
John T. Grant à l'écran (la star du western John Wayne) et des
quelques séquences qui vont suivre signifient deux choses : que
d'un côté ou de l'autre, le shérif et son adjoint ne peuvent faire
l'un sans l'autre. Pour preuve, cette scène située dans un second
saloon et qui clôt de manière brillante cette ouverture magistrale
en envoyant derrière les barreaux Joe Burdette...
Et voici que les bases du scénario
de Jules Furthman et Leigh Brackett adapté de la nouvelle de B. H.
McCampbell (nom derrière lequel se cache la fille du réalisateur)
sont posées. Car désormais tout ou presque tournera autour de ce
trio formé du shérif, de son adjoint et du criminel enfermé dans
la prison de Rio Bravo qui donne son titre au film. Auxquels des
personnages secondaires mais néanmoins indispensables viendront se
greffer par la suite. Un panel on ne peut plus hétéroclite puisque
constitué du jeune, fougueux et un brin orgueilleux Colorado Ryan
qu'interprète l'acteur Ricky Nelson alors âgé de seulement
dix-neuf ans. De la sublime Angie Dickinson, ici méconnaissable si
on la compare notamment au personnage de Kate Miller qu'elle
interprétera vingt et un ans plus tard dans le classique de Brian de
Palma, Pulsions.
L'actrice endosse le rôle de la séduisante Feathers dont le
scénario laisse planer le doute quant à sa réelle identité
(est-elle en effet celle que la justice recherche pour tricherie aux
jeux de cartes ?). Une équipe de soutien au shérif et à son
adjoint que complétera Stumpy (excellent Walter Brennan), le gardien
de la prison, un brave vieil homme boiteux et râleur essentiel à la
bonne marche de la justice en ville puisqu'il détient les clés des
cellules de Rio Bravo. Joe Burdette qui dès lors est gardé bien au
chaud au fond de l'une d'entre elles n'est plus vraiment l'homme à
craindre mais son frère Nathan Burdette sous l'apparence pourtant
impeccable duquel se cache l'acteur John Russell. Un individu prêt à
payer le prix fort (une pièce de cinquante dollars en or à
quiconque sera en mesure de faire libérer son frère et
accessoirement tuer tous ceux qui se mettront sur sa route)...
Chef-d’œuvre
incontournable du western américain, Rio Bravo
a la particularité de n'offrir aucun véritable plan des grandes
étendues désertiques entourant la ville de Moab dans l'Utah où fut
tourné le long-métrage de Howard Hawks. En dehors de quelques
rarissimes plans tournés hors de la ville de Rio Grande, le film
concentre la presque totalité de son intrigue entre les murs de la
prison, les ruelles mal famées, quelques granges, le saloon des
Burdette et celui de Carlos Remonte, personnage hautement sympathique
interprété par l'acteur Pedro Gonzalez-Gonzalez et propriétaire
d'un bar et d'un hôtel où se jouera une partie de l'intrigue. Plus
que de n'être que des personnages secondaires, lui et Feathers vont
participer au siège d'une prison et de la défense d'un prisonnier
que des dizaines de brigands vont tenter de faire échapper. Sur une
durée dépassant les cent-quarante minutes, Rio
Bravo
est souvent ponctué de longs tunnels de dialogues qui n'alourdissent
cependant jamais le propos. À vrai dire, on s'attache très
rapidement à ce quintet on ne peut plus hétérogène nourrissant
des séquences parfois très amusantes, tragiques ou bien même
séduisantes. Sans être comparable au western spaghetti, quelques
éléments typiques de ce cinéma provenant de la Botte viennent
volontairement ''salir'' l'intrigue et évitent pour notre bonheur à
tous d'assister à un spectacle par trop aseptisé. Un spectacle,
justement... Grandiose sans pour autant bénéficier de décors
naturels aussi remarquables que ceux de Monument Valley ou les
Alabama Hills
situées en Californie. Rio Bravo
repose avant tout sur l'interprétation et sur la caractérisation
des personnages. Sans nous faire voyager au cœur de plaines
visuellement saisissantes, Howard Hawks confronte ses spectateurs avec
de vrais héros, dans le sens littéral du terme. Héroïques, oui,
mais surtout, humains...
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