Alors que le tout dernier
long-métrage du réalisateur, scénariste et producteur mexicain
Guillermo del Toro est sorti il y a tout juste deux jours (Nightmare
Alley),
il est peut-être encore temps de revenir sur l'une de ses plus
brillantes réussites. Capable de mettre en scène des robots géants
dans un contexte ultra-bourrin, l'homme est également compétent
lorsqu'il s'agit de donner vie à des œuvres d'une sensibilité et
d'une grâce aussi rares qu'absolues. Le labyrinthe de Pan
en est peut-être l''un
des meilleurs exemples.
Seize ans déjà qu'est sorti dans les salles ce chef-d’œuvre
définitif de fantasy, entre conte pour adulte et drame sur fond de
guerre d'Espagne. À l'issue de laquelle la jeune Ofelia (Ivana
Baquero) et sa mère Carmen (Ariadna Gil) rejoignent le capitaine
Vidal (extraordinaire Sergi Lopez dans l'un de ses meilleurs rôles)
duquel cette dernière attend un enfant. Chargé de retrouver et
d'éliminer les maquisards réfugiés au cœur des montagnes, Vidal
est un monstre sans cœur ni morale. Figure du fascisme pour lequel
la vie d'un homme, d'un enfant ou d'une femme ne compte pas. C'est
dans ce contexte particulièrement sinistre que va évoluer Ofelia,
héroïne de l'un des contes les plus sombres, tragiques et émouvant
auquel le septième art ait donné naissance. Guillermo del Toro,
avec Le labyrinthe de Pan,
ne nous épargne rien. Des décors tantôt enchanteurs, tantôt
sordides dont fut responsable Eugenio Caballero en passant par la
sublime photographie de Guillermo Navarro, le travail artistique
effectué sur le visuel de ce sixième long-métrage du mexicain
demeure absolument bluffant. Et auquel on ajoutera bien entendu la
très belle partition musicale signée de Javier Navarrete qui ajoute
un surcroît d'émotion à des séquences à l'origine déjà
particulièrement marquantes...
Rien
ne nous est donc épargné, disais-je. Car si Le
labyrinthe de Pan
est effectivement un conte (tout autant soit-il réservé aux
adultes), avec tout ce que cela suppose d'imaginaire (ici, la
présence de fées, de la mandragore au vertus magiques ou encore du
faune, cette créature légendaire issue de la mythologie romaine),
le long-métrage de Guillermo del Toro ne fait pas dans la dentelle
lorsque son monstre personnifié par le capitaine Vidal s'en prend à
des hommes et des femmes sans distinction d'âge, avec ce doigt de
perversité que l'acteur espagnol Sergi Lopez retranscrit à l'image
avec un sens particulièrement aiguisé. Si le film transpose
l'Histoire avec un grand H dans un contexte plus ou moins
fantastique, ça n'est que pour mieux décrire cette échappatoire au
cœur de laquelle la jeune Ofelia va se laisser lentement glisser
afin de se protéger et ainsi échapper aux horreurs de la guerre
continuant d'opposer l'armée franquiste aux maquisards. D'où cette
incertitude qui émaille le long-métrage sans que l'on ne sache
vraiment si tout ce que vit la jeune fille est ''réel'' ou le simple
fruit de son imagination. Ce qui, par contre, est avéré, ce sont
les exactions de ce capitaine craint même jusque dans ses troupes
dont aucun de ses hommes n'oserait contredire le moindre de ses
ordres. Bourré jusqu'à la gueule de moments de bravoure, de scènes
féeriques et de séquences graves, Le labyrinthe
de Pan
est d'une beauté, d'une cruauté et d'une profondeur rares.
Profitant de formidables effets-spéciaux, le mélange des genres
fonctionne à plein régime et sans qu'aucun des deux versants
abordés par le récit ne s'impose plus qu'il ne doit. L'émulsion
est parfaite et l'issue inattendue.
Le labyrinthe de
Pan est
de ces œuvres qui parfois démontrent que le septième art et ses
artisans en ont encore sous le pied. Surtout, il prouve qu'en se
donnant les moyens techniques, de mise en scène, d'écriture ou
d'interprétation, il est encore possible d'atteindre les cimes de la
perfection. Si l'on n'oubliera sans doute pas de si tôt ce portrait
de monstre fascisant qu'est ce capitaine tortionnaire et sadique,
nul doute que resteront gravés ces moments de bravoure, lorsqu'enfin
débouchent de leur cachette, ces dizaines de maquisards, valeureux
combattants de la liberté. Ou plus simplement cette gamine, qui les
chaussures crottées, s'érige en relève de ces hommes et de ces
femmes sacrifiés au nom de cette même liberté. Le
labyrinthe de Pan prend
aux tripes et à la gorge. Il nous ensorcelle par son florilège
ininterrompu de séquences visuellement époustouflantes. Ivana
Baquero, Sergi López, Maribel Verdú dans le rôle de Mercedes et
Álex Angulo dans celui du docteur Ferreiro sont tous remarquables.
Profond, original, poétique et macabre, Guillermo del Toro marquait
d'une pierre blanche en cette année 2006, le septième art.
Peut-être son plus grand film...
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