Vingt-six ans après
Sorcerer,
Traqué
de William Friedkin sonne comme un retour à la nature. Moins hostile
mais toute aussi épaisse. Un court passage dans un enfer vert loin
de la République Dominicaine puisque ces séquences furent cette
fois-ci tournées tour à tour dans la Gorge du Columbia et au Mont
Hood tous deux situés dans l'Oregon ainsi qu'aux abords de la
rivière Elwha située quant à elle dans l'état de Washington. Si
des centaines de kilomètres séparent chacun de ces lieux,
l'illusion est parfaite puisque chaque plan rejoint le suivant pour
former un tout et donner l'illusion que ces séquences ont toutes été
tournées au même endroit. On croirait presque un retour aux sources
du plus célèbres soldat de fiction de l'armée américaine. Le
Rambo du premier long-métrage éponyme de la franchise du même nom
réalisé par Ted Kotcheff en 1982, Rambo :
First Blood.
L’œuvre de William Friedkin ressemble parfois, allez, osons
l'affirmer, au chaînon manquant entre ce célèbre film de guerre et
l’œuvre de science-fiction réalisée par John McTiernan en 1987,
Predator.
Car en débarrassant son œuvre de tout élément qui pourrait faire
référence à une quelconque invasion extraterrestre, William
Friedkin réalise une chasse à l'homme qui porte en elle le même
climat d'angoisse et de sourde pesanteur qui régnait déjà dans le
classique de John McTiernan. Entre la survie de l'un et la traque du
second, l'ensemble ainsi mixé offre aux spectateurs de Traqué
une expérience formidable que l'acteur Tommy Lee Jones revit ainsi
pour la troisième fois après le diptyque formé par Le
Fugitif
d'Andrew Davis et sa suite/spin-off U.S.
Marschals
de Stuart Baird. Un Tommy Lee Jones qui depuis a pris de la
bouteille. Il incarne ainsi l'ancien instructeur des forces
spéciales, L.T. Bonham qui depuis est à la retraite et vit
désormais en ermite dans une forêt de l'Oregon...
Buriné,
barbu et certainement plus proche de la nature que de l'humanité
dont il fait pourtant partie, le FBI va très bientôt faire appel à
ses talents de pisteur et de tueur afin de remonter la trace de
l'homme qui jusqu'à maintenant a fait quatre victimes. Et cet homme
n'est pas n'importe qui puisqu'il s'agit de Aaron Hallam, ancien
soldat traumatisé par les horreurs de la guerre et notamment celle
du Kosovo à laquelle il participa et lors de laquelle il fut le
témoin de nombreux massacres parmi lesquels celui de nombreux
civils. Un homme que L.T. Bonham a par le passé lui-même formé au
combat en lui apprenant comment tuer et comment survivre en milieu
hostile. Les deux hommes se retrouvent donc lors d'une
course-poursuite qui va les mener au cœur des forêt de l'Oregon
ainsi qu'en milieu urbain. La traque commence... Face à Tommy Lee
Jones, il fallait absolument trouver un interprète à sa hauteur. Et
c'est en la personne de l'acteur américano-espagnol Benicio Del Toro
que William Friedkin va le dénicher. L'interprète
ultra-charismatique du futur Che
de Steven Soderbergh ou de Sicario : La Guerre
des cartels
de Denis Villeneuve qu'il tournera plus tard est littéralement
habité par son personnage. Un ancien soldat qui a perdu toutes ses
illusions. Et peut-être même davantage puisqu'il semble avoir été
si traumatisé par les images de guerre auxquelles il a assisté
qu'il paraît avoir perdu la tête. Du moins cette part de conscience
qui permet de faire la différence entre le bien et le mal...
Si
une partie du long-métrage a effectivement été tournée en forêt,
plusieurs séquences se situent par contre en milieu urbain.
Celles-ci ont notamment été réalisée à Portland, à Oregon City
ou encore à Port Angeles. Traqué
est un thriller nerveux, sans fioritures superflues. Le duel entre
les deux hommes est sauvage, brutal, sanglant. William Friedkin filme
la nature avec ce même sens de l'observation que vingt-six ans
auparavant lors du tournage de Sorcerer.
Mais Traqué n'évoque
pas que le simple duel entre un élève et son maître. Il traite en
toile de fond l'épineux problème du retour à la vie civile pour
des hommes qui ont vécu en plein cauchemar lors divers
affrontements. À ce titre, le regard profond de Benicio Del Toro
imprime et souligne à l'image toute la désespérance et l'absence
parfois totale de conscience morale de son personnage. C'est
peut-être ainsi pour mieux faire accepter aux spectateurs
l'apparente monstruosité de cet homme qui apparaît totalement
insensible aux émotions que le film s'ouvre justement sur le conflit
qui le traumatisera le reste de son existence. Benicio del Toro/Aaron
Hallam s'en trouve alors étonnamment bouleversant et sa traque
s'apparente parfois à celles de créatures innocentes tuées pour le
plaisir de chasser. Avec Traqué,
on reste assez loin des chefs-d’œuvre de William Friedkin. Il n'en
demeure pas moins un très efficace thriller. Solide, maîtrisé, dur
et cruel, parfaitement interprété par deux géants du cinéma et au
rythme soutenu. À noter la présence de l'actrice Connie Nielsen
dans le rôle de l'agent du FBI Abby Durrell...
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