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mercredi 29 juillet 2020

Dogville de Lars Von Trier (2003) - ★★★★★★★★☆☆



Je n'apprendrai rien à personne en évoquant le fait que le cinéma du réalisateur danois Lars Von Trier n'a rien de commun avec tout ce que le public à l'habitude de découvrir sur grand écran. Chacun de ses treize longs-métrages, de Element of Crime en 1984 jusqu'au dernier en date, The House that Jack Built en 2018 est une expérience à part entière. Septième film et premier volet d'une trilogie qui s'est poursuivie en 2005 avec Manderlay et dont on attend toujours la conclusion, Dogville reste sans doute à ce jour comme l'une des œuvres les plus profondes du danois. Un long-métrage qui, s'il ne reproduit par tout à fait les préceptes du Dogme 95 cofondé aux côtés de Thomas Vinterberg en 1995, en récupère certaines fonctions et semble même aboutir à une épure encore plus significative du fait que le décor servant de cadre au récit ne soit constitué que de quelques éléments éparses. Quand bien même il faudra quelques minutes, et peut-être un peu plus que cela pour s'habituer à Dogville dans sa forme, le choix de Lars Von Trier de minimiser l'emploi de décors permet au contraire de maximiser l'impact de certaines situations.

Et pour comprendre, il faut sans doute d'abord se pencher sur l'histoire... Celle de Grace qui un soir débarque dans la toute petite ville de Dogville où vit à peine plus d'une trentaine d'habitants. Parmi lesquels on retrouve immédiatement après le prologue, le fils du médecin, Tom Edison, qui sans doute troublé par la beauté de la jeune femme décide spontanément de lui venir en aide. Car on comprend alors qu'elle est en fuite et tente d'échapper à des gangsters dont le grand patron est connu sous le nom de Monsieur Mulligan. Réunis à l'église, tous les villageois apprennent l'existence de Grace et des dangers qu'elle encoure. Certains hésitent à l'accepter parmi eux de peur d'en subir les conséquences. Pourtant, Tom les convainc tous d'approuver la présence de Grace pour les deux semaines à venir. Et si jamais ne serait-ce que l'un d'eux décide qu'elle doit quitter Dogville, alors la jeune femme devra plier bagages...

D'abord filmé en plongée comme le plan d'une résidence en construction, Dogville est au départ assez complexe à définir dans son infrastructure. Car à part quelques fenêtres ici et là et un tracé au sol qui délimite chaque édifice, le spectateur est invité à imaginer les façades de l'église, des habitations, ou même des vieilles mines laissées à l'abandon. Heureusement, l'espace est suffisamment restreint pour que l'on n'ait pas à retenir l'emplacement de dizaines de foyers et d'édifices commerciaux. Officiellement ou non, il se dégage de cette méthode assez particulière qui fait de Dogville une œuvre expérimentale à la frontière entre théâtre et cinéma, un sentiment d'oppression qui peu à peu fini par devenir permanent. Comme si le personnage central interprété par la magnifique et bouleversante Nicole Kidman était épié et jugé en permanence pour ses actes par les habitants qui l'on accueillie un peu plus tôt. Mais alors que l’œuvre de Lars von Trier s'ouvre et se prolonge tout d'abord sur un acte d'une grande humanité consistant en l'acceptation d'une étrangère malgré les dangers, le vice s'installe au fil du temps dans les foyers pour prendre un caractère monstrueux.

Cette monstruosité qui caractérise l'homme lorsqu'il se forme autour d'une masse populaire vindicative et qu'il sent le danger poindre le bout du nez. Bien que Dogville repose sur un scénario original écrit par le réalisateur lui-même, une étrange relation se noue entre son œuvre et celle plus ancienne de Clint Eastwood. Un certain Homme des Hautes Plaines, western crépusculaire et fantastique (du moins dans sa version originale) dans lequel l'acteur et réalisateur décrivait une ville et ses habitants corrompus par la cupidité, la jalousie, la couardise et la lâcheté...Un casting trois étoiles... Car aux côtés de la sublime australo-américaine Nicole Kidman, l'y rejoignent le suédois Stellan Skarsgård, l'américaine Lauren Bacall, le franco-américain Jean-Marc Barr, ou encore les américains James Caan et Ben Gazzara, John Hurt étant quant à lui dans la version originale, chargé de la lourde tâche de narrer ce récit en un prologue suivi de neuf chapitres. Si dans un premier temps la forme désoriente, c'est dans la qualité de la mise en scène, de l'interprétation mais aussi de l'ajout de la superbe partition musicale empruntée au compositeur et violoniste italien Antonio Vivaldi que le spectateur trouvera un point d'appui auquel se raccrocher et ainsi finalement vivre ce film-fleuve de presque trois heures dans des conditions presque optimales.

Bien que Dogville paraisse complexe, l'idée d'y avoir adjoint la voix de John Hurt permet de clarifier le propos. Car ainsi, tout semble plus simple à comprendre. Et d'abord, l'agencement de cette petite ville souvent plongée dans les ténèbres, dont les édifices sont représentés par d'épaisses lignes blanches et certains éléments par des symboles ou des mots. À titre d'exemple, si l'on entendra bien aboyer le seul chien de Dogville, il est représenté par le mot ''Dog''. Comme l'on apprendra par cette même méthode où se situent par exemple le garage de Ben, la maison de Jeremiah ou encore celle de Thom Edison. Lieu unique, le décor de Dogville est situé en Suède, à Trollhättan, et les personnages ne le quitteront jamais. Même lorsque avec un certain sens du génie, Lars Von Trier cachera son héroïne entre les caisses de pommes chargées à l'arrière du camion de Ben. Cruel, Dogville est un conte allégorique que le public américain a eu du mal à avaler en découvrant ce qui semblait être une virulente critique de sa société. On pourrait y voir également une certaine forme de novélisation de la mythique série Le Prisonnier créée par George Markstein et Patrick McGoohan au milieu des années soixante. Grace n'est-elle pas en effet le pendant féminin de l'agent secret connu sous le nom de Numéro 6, accueillie qu'elle est par des habitants tout d'abord bienveillants avant de comprendre au fil du temps qu'elle est elle-même prisonnière de leur moindre désir et de leur impitoyable comportement envers elle ? En 2003, le réalisateur danois signait sans doute l'un de ses plus grands films. Dogville est une expérience douloureuse, inconfortable, étonnante et profonde à la fois. Habité par des interprètes remarquables auxquels on peut notamment ajouter l'acteur slovéno-américain Željko Ivanek qui incarne merveilleusement bien le personnage de Ben ou l'américaine Patricia Clarkson qui interprète l'odieuse Vera, le film demeure une expérience inédite à laquelle on pense encore longtemps après la fin de la projection...

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