Avec Haze,
le cinéaste japonais Shinya Tsukamoto poursuit son exploration d'un
cinéma expérimental démarré plus de quinze ans en arrière avec
son film culte, le séminal Tetsuo.
En 2005, il n'a pas abandonné sa manière si particulière d'aborder
le septième art. Plus court que la majorité de ses films, Haze
use du format moyen pour évoquer un récit aussi labyrinthique que
l'univers dans lequel évolue le personnage que le réalisateur
interprète lui-même. Un homme plongé dans une sorte de galeries
souterraines en béton dont l'une des spécificités est d'être
constituées d'un réseaux de couloirs extrêmement étriqués.
L’exiguïté des lieux contraint ce personnage sans identité à
évoluer avec lenteur et en le forçant parfois à se tenir sur la
pointe des pieds et les mâchoires écartées par des canalisations
placées à hauteur de visage. Si seulement l'horreur de la situation
pouvait s'arrêter là... Malheureusement pour lui, l'homme est
également contraint d'évoluer dans des couloirs jonchés de
détritus, de métaux acérés et même, comme il va bientôt en être
le témoin, de dizaines, voire de centaines de membres humains
arrachés et en décomposition avancée...
Bien
que le minimalisme du scénario écrit par Shinya Tsukamoto lui-même
et des décors laissent le sentiment que Haze
put être tourné avec un budget dérisoire et sur une très courte
durée, ce film de commande ayant pour vocation d'expérimenter un
nouveau modèle de caméra digitale fut tout de même réalisé à
l'aide d'un budget à hauteur de quarante-mille euros (ce qui en
soit, demeure tout de même une toute petite somme) et sur une durée
de treize jours. Sur un concept empruntant en partie des idées à
Saw de
James Wan ou encore au plus ancien Cube
de Vincenzo Natali, Shinya Tsukamoto jette son héros (celui qu'il
interprète lui-même) au milieu d'artères souterraines exiguës qui
créeront un véritablement sentiment d'oppression chez les
spectateurs souffrant de claustrophobie. Et ce, sans qu'il n'aie
conservé le moindre souvenir des circonstances qui l'ont amené à
se retrouver dans une telle situation. La partition musicale du
compositeur japonais Chū Ishikawa, auteur de la plupart des bandes
originales des longs-métrages de Shinya Tsukamoto, participe de
cette suffocation qui ne cesse de s'accentuer à mesure que le récit
avance. Du moins jusqu'à ce que le héros fasse la rencontre du seul
être vivant qu'il sera en mesure de croiser en chemin durant les
quarante-neuf minutes que dure le moyen-métrage. Une femme, elle
aussi anonyme, interprétée par Kahori Fujii, qui tout comme l'homme
ignore les raisons de sa présence en ces lieux qui ne
dépareilleraient sans doute pas avec la plus mortifère vision de
l'Enfer...
En
moins de temps qu'il n'en faut pour créer le malaise, le réalisateur
japonais signe une œuvre expérimentale horrifique particulièrement
convaincante. Et même si Haze
demeure moins délirant et moins épileptique que Tetsuo,
il n'en demeure pas moins tendu et rude. Le spectateur ressortira
sans doute de la projection avec le sentiment d'avoir été trompé
par un cinéaste qui l'abandonne au bord d'un chemin pavé
d'incertitudes mais c'est le contrat que l'on se doit de signer avec
Shinya Tsukamoto chaque fois que l'on pénètre dans son univers. Il
faut au contraire se laisser porter par ses visions sans doute
emplies de symboliques sans se poser trop de questions. Peut-être
faudra-t-il se pencher sur le titre du film lui-même, puisque Haze
est le nom couramment utilisé par les consommateurs d'herbe qui
voient en cette variété, l'une des meilleures proposées sur le
marché des drogues douces. C'est ainsi que l'on se demande alors si
tout ce que Shinya Tsukamoto met en images n'est pas le fruit de
personnages ayant consommé de l'herbe avant d'avoir perdu la tête
et après avoir tenté de s’entre-tuer. Une idée florissant dans
l'esprit sans pour autant être définitive. Avec Haze,
le japonais démontre en tout cas que l'usage d'une caméra digitale,
ici idéale dans le contexte éminemment restreint de réseaux
souterrains, n'empêche pas une certaine vision ''crasse'' de
l'environnement. Encore un (lourd) pavé dans la mare du cinéma
japonais expérimental et une brillante réussite pour Shinya
Tsukamoto...
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