Il y a des longs-métrages
qui ont besoin de quantité d'artifices pour attirer et maintenir
l'attention des spectateurs. Mais il en existe aussi qui ont besoin
de peu. El Secreto de Marrowbone
fait partie de cette catégorie de films qui reposent sur des bases,
une maîtrise et une confiance tellement solides de la part de leur
auteur que celui-ci peut se permettre de prendre à peu près tous
les risques tout en laissant derrière son œuvre et lui, un minimum
de déchets. Aussi étonnant que cela puisse paraître, El
Secreto de Marrowbone
est le premier véritable long-métrage du réalisateur d'origine
espagnole Sergio G. Sánchez. Avec ce film que certains ont sans
doute trop rapidement catalogué de film d'horreur, le cinéaste nous
convie à une certaine forme de féerie faisant route commune avec
l'épouvante. Il faudra d'ailleurs un jour expliquer aux ignares où
se situe la différence entre ces deux genres. Car à moins que votre
serviteur ici présent ne soit inconsciemment dans le flou total
concernant la question, il m’apparaît que la première exprime
d'abord un sentiment de dégoût quasi épidermique quand la seconde,
elle, s'attaque en premier lieu à l'esprit, à ses phobies, à ses
peurs primales.
Si
le rythme qu'imprime Sergio G. Sánchez à son œuvre paraîtra
insuffisant aux amateurs de slashers, de gore, de torture-porn ou que
sais-je encore, ceux qui attendent davantage qu'un catalogue
d'atrocités seront conquis. Car l'air de rien, le scénario de
El Secreto de Marrowbone,
là encore, écrit par Sergio G. Sánchez, est un mille-feuilles
ajoutant couche après couche au récit, des thèmes
''cinématographiquement universels'' d'une très grande cohésion.
Plutôt que de partir d'un point A, pour se diriger vers un point B,
et bifurquer enfin vers un point C pour ne faire ensuite que mélanger
le tout dans une succession de séquences dont la structure
scénaristique serait irréfléchie, l'espagnol intègre avec une
infinie prudence chaque strate du récit pour en faire un tout
indissociable et indivisible. Vous croyez en vos certitudes ?
Sergio G. Sánchez se charge de les plier en deux, en quatre, et même
pourquoi pas, en huit ! En bon artisan du cinéma et donc de
l'irréel, il vous pousse à admettre ce qu'il entend vous faire
croire. Un son, un chuchotement et la ''présence'' s'adresse tout
d'abord aux personnages. Mais lorsque apparaît subrepticement à
l'image une main flétrie, c'est au spectateur que le réalisateur
s'adresse. Vous l'avez vu ? C'est qu'il existe... ce fantôme
dont vos grands frères et sœur vous ont toujours fait croire à
l'existence pour vous cacher l'horrible vérité...
Sergio
G. Sánchez redéfinie en l'espace d'un seul film, les codes de
plusieurs sous-genres cinématographiques qui depuis des lustres
avaient tendance à s'engluer dans des ''redites'' terriblement
fades. En un seul long-métrage, il renoue le spectateur avec cette
J-Horror
que les puristes ont sans doute pleuré lorsqu'elle a traversé
l'outre-atlantique dans d’ineptes remakes américain, annihilant
cette fois-ci les Rings
et Grudge
nouveaux, déjà peu convaincants. Il a sans doute également réécrit
l'Histoire du Home-Invasion
et du Survival
avec une finesse qui n'a jamais été l'apanage, avouons-le, de ces
deux ''entités'' du cinéma d'horreur et d'épouvante. Si suivre les
aventures de Jack Marrowbone, de sa sœur Jane et de ses deux frères
Billy et Sam réveille en vous d'aussi douces que douloureuses
expériences offertes par le passé par Alejandro Amenabar, Guillermo
del Toro ou Veronika Franz et Severin Fiala (Goodnight
Mommy),
alors vous êtes forcément en terrain conquis. Évoquant l'histoire
bouleversante de ces gamins abandonnés à leur triste sort comme le
furent dans un contexte aussi étrangement similaire ceux du
troublant Cement Garden
d'Andrew Birkin, on pourrait même aller jusqu'à y voir le parfait
descendant de l'immense Nuit du Chasseur
de Charles Laughton.
Avérées
ou non, ces sources d'inspiration auxquelles le cinéphile se
raccrochera peut-être sont les garantes d'un parti-pris parfaitement
exécuté. George MacKay, Charlie Heaton, Mia Goth, Kyle Soller et
plus loin, Anya Taylor-Joy, témoignent de l'intérêt qu'ils
éprouvent pour leur personnage respectif. Tout comme Kyle Soller
dont l'aveuglante obstination fait froid dans le dos. Alors non, El
Secreto de Marrowbone n'est
certainement pas le film d'horreur que certains aimeraient lui voir
coller comme étiquette. Juste un drame sensible et nuancé mais
parfois parcouru de terrifiantes fulgurances, je l'accorde. Inutile
désormais de prendre l'avion pour atterrir sur l'ancienne terre des
indiens d'Amérique. Tout ou partie se joue désormais près de chez
vous, en Espagne. Comme une seconde vague, après [REC]
et consorts. Mais en infiniment plus précieux...
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