Le cinéaste japonais
Takashi Shimizu, créateur de la série de films d'horreur Ju-On
et l'un des maîtres de la J-Horror
revenait en 2004 avec ce qui demeure son œuvre la plus complexe. Ou
du moins, celle qui reste à ce jour incomprise par une grande partie
de la presse qui à sa seule évocation vocifère des propos plus ou
moins justifiés. Heureusement qu'une partie du public, lui, a trouvé
en ce curieux objet filmique non identifié, de quoi l'honorer de
louanges salvatrices. À vrai dire, démarrer la filmographie du
japonais en commençant par Marebito
risque d'en faire fuir plus que de raison car plus qu'aucun autre de
ses longs-métrages, celui-ci pose les jalons d'un cinéma
d'épouvante qui n'aura malheureusement pas vraiment donné naissance
à une franchise si ce n'est une certaine approche du média employé
et sublimé l'année suivante à travers le très réussi Rinne.
Alors
que le terme Marebito
fait référence dans la tradition japonaise à un être surnaturel apportant
la sagesse, la connaissance spirituelle et le bonheur, on ne peut pas
dire que le cinéaste ait pris le sens du mot à la lettre car
Marebito
transpire tout sauf la joie et la pudicité. Dans un contexte urbain
déshumanisé parfois proche du C.H.U.D
que réalisa le cinéaste et monteur américain Douglas Cheek en
1984, le long-métrage de Takashi Shimizu est tout d'abord emprunt
d'une solitude désarmante. Celle de son héros, incarné par
l'acteur et réalisateur culte Shin'ya Tsukamoto, l'Âme du genre
''cyberpunk'' japonais qui donna naissance au légendaire Tetsuo
et réalisa des œuvres aussi cultes que Tokyo Fist,
Bullet Ballet
ou le délirant Gemini.
Le
héros que l'acteur incarne est à ce point obsédé par
l'utilisation de la vidéo (son appartement est infesté de systèmes
de surveillance et il ne le quitte jamais sans avoir avec lui un
portable ou une caméra) et par l'étude des mécaniques débouchant
sur la peur que l'on se demande tout au long de ces quatre-vingt dix
minutes, dans quelles proportions ce à quoi est amené le spectateur
à assister n'est pas le fruit de l'imagination débordante d'un
psychopathe. Ici, et contre toute attente, Takashi Shimizu abandonne
quelque peu son ''fond de commerce'' habituel puisque contrairement à
ce que laisse paraître Marebito,
la créature féminine que côtoie avec une certaine ambiguïté le
héros Masuoka peut être davantage rapproché du vampire que du
fantôme chevelu même si certains gimmicks propres au genre
(distorsions et parasitage de l'image, apparitions spectrales)
laissent supposer que l'on est en terrain connu. Le monde dans lequel
va bientôt évoluer Masuoka, le poussant à enquêter sur le suicide
d'un homme dans le métro tokyoïte, se situe dans un monde
souterrain, parallèle, un village entouré de montagnes bâtit par
des habitants vivant sous terre et où vit enchaînée F,
une jeune femme blafarde et anémique qu'il va ramener chez lui et la
nourrir de sang humain.
C'est
à ce moment très précis que le spectateur sera poussé à
s'interroger sur l'hypothétique folie d'un individu poussé au
meurtre afin de nourrir sa protégée. Se noue alors une étrange
relation entre F
et Masuoka. Takashi Shimizu étoffe son récit en s'inspirant d'un
manuscrit écrit par Richard Sharpe Shaver au milieu des années
quarante intitulé A
Warning to Future Man et dans lequel il fait intervenir des créatures monstrueuses nommées
Deros.
L'un des éléments laissant supposer la folie du héros intervient
au moment même où est évoqué le fait qu'il cesse de suivre son
traitement à base de Prozac.
La réalité des faits n'étant jamais définitivement établie,
Marebito vogue
donc entre réalité et fantastique et s'insère dans un contexte
social relativement trouble. L'inconfort général dû au traitement
visuel et à un scénario brouillon abandonne le spectateur à une
évaluation personnelle le guidant à faire sa propre analyse de la
situation. On est donc face à un long-métrage expérimental très
éloigné des canons du genre, l’œuvre de Takashi Shimizu pouvant
alors être définie comme une étude clinique sur la solitude et la
folie qui peut éventuellement découler sur une distorsion de la réalité. Marebito
se révèle au final complexe à aborder et ses qualités difficiles
à évaluer. Intriguant, dérangeant et unique en son genre...
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