Un attentat manqué, un
tueur à gages qui en ratant sa cible est tué à son tour. Remplacé
au pied levé par celui-là même qui l'a tué, un certain Milan,
lequel va devoir ensuite tuer Louis Randoni, un conseiller juridique,
qui doit comparaître ce jour là à 14 heures à la quatrième
chambre de la préfecture de l’Hérault. L'homme qui échappa
quelques jours auparavant à la tentative de meurtre ratée par le
premier tueur à gages, c'était donc lui. Vous me suivez ?
C'est sur ce postulat de départ qui fit sans doute des jaloux parmi
les scénaristes américains de l'époque comme nous le verrons plus
loin que le scénariste Francis Veber livre le scénario de l'une des
plus fameuses comédies françaises de cette première moitié des
années soixante-dix. Un sujet pourtant pas tout à fait original
puisque Francis Veber ne fit qu'adapter la pièce Le Contrat
qu'il écrivit déjà lui-même pour le théâtre à
l'attention du metteur en scène Pierre Mondy.
L'Emmerdeur.
Voilà un titre qui colle parfaitement au personnage incarné par le
chanteur et acteur belge Jacques Brel. Car non content d'avoir
récupéré la chambre d’hôtel mitoyenne de celle d'où Milan
devra abattre Louis Randoni, ce dépressif personnage, abandonné par
une épouse qui a préféré se jeter dans les bras de son psychiatre, va en faire voir de toutes les couleurs au tueur à gages.
En opposant la brute épaisse Lino Ventura au frêle Jacques Brel, le
cinéaste Édouard Molinaro a tapé dans le mille. Amis le temps d'un
long-métrage signé Claude Lelouch une année auparavant
(L'Aventure, c'est l'Aventure), les deux acteurs
campent bien malgré leurs personnages respectifs, deux antinomies
d'un point de vue comportemental. L'une des plus fameuses idées du
scénario étant de pousser Milan-Ventura dans ses derniers
retranchements. A devoir batailler pour que son encombrant voisin de
chambre n'attire pas la police avec ses tentatives de suicide. Voilà
donc le tueur à gages transformé en protecteur. D'un côté, le
projet de meurtre, de l'autre la tentative désespérée consistant à
calmer les ardeurs suicidaires de François Pignon-Jacques Brel.
François Pignon, justement... l'un des personnages les plus
récurrents du cinéma comique français avec son alter ego François
Perrin puisque le premier apparaîtra dans pas moins de sept
longs-métrages et deux pièces de théâtre dont Les Fugitifs,
Le Dîner de Cons, et Le Placard.
En pariant sur un Lino
Ventura que l'on imagine davantage interpréter des personnages de
films policiers que des comédies, Édouard Molinaro permet justement
d'aboutir à un saisissant contraste entre cette brute froide et
déterminée perdant parfois son sang-froid et un Jacques Brel, lui
aussi (involontairement) déterminé à lui gâcher la journée.
L'Emmerdeur
accumule les scènes cultes inoubliables. Ventura et Brel offrent un
spectacle de tous les instants que le simple statut de comédie du
film n'empêche jamais de respecter le rôle qui leur est confié. Le
caractère diamétralement opposé de ses deux héros est une formule
magique qui fonctionne toujours à merveille. Entendre Jacques Brel
raconter sa vie, son désespoir, s’appesantir sur son sort, se
déchaîner sur le coffre d'une voiture qui n'est pas la sienne,
hurler dans la rue, emmerder Lino Ventura reconverti en chauffeur,
provoquer un accident, est un pur régal. L'ancien catcheur n'est
lui-même, pas en reste. Le voir garder son calme jusqu'au point de
rupture survenant lorsque Brel-Pignon pérore sur la possibilité que
la femme enceinte qu'il ont embarqué dans le véhicule y accouche
est tout simplement jouissif ! Le spectateur notera d'ailleurs
la précision avec laquelle le cinéaste encadre le lent pétage de
plombs à venir. Regard de Ventura menaçant, et main gantée serrant
fermement le volant.
L'Emmerdeur n'est
pas épuisant que pour son tueur à gages. Le spectateur sera
lui-même soufflé par l'incessant ballet de contradictions qui
opposent les personnages et les rendent ainsi, si drôles et si
attachants. On en oublierait presque que Milan doit honnorer un
contrat menant à l’assassinat d'un homme et l'on souffre de la
tournure que prend ce qui demeurera certainement comme la plus longue
journée de son existence. Inutile de préciser que les commentaires
laissés par quelques ploucs et ignares sur la toile affirmant que le
film est ennuyeux méritent que l'on envoie leur auteur sur le
peloton d'exécution. L'Emmerdeur
est un petit chef-d’œuvre comme on n'en voit malheureusement plus
que très rarement de nos jours. A noter la présence de l'acteur
Jean-Pierre Darras dans le rôle du Docteur Fuchs, psychiatre et
amant de l'épouse de Pignon, et de Caroline Cellier dans celui de
Louise Pignon, la femme en question...
Suite
et fin dans le prochain article...
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