Contrairement au boucher
de métier de Seul contre Tous de Gaspar Noé qui
passait son temps à ruminer sa haine de l'autre sans jamais
passer à l'acte autrement qu'à travers le fantasme, celui de Cruel
tue depuis dix ans. Pas vraiment une profession de foi, juste ce
besoin de comprendre l'âme humaine. De l'étudier. Cruel,
ou comment une enfance peut être détruite par le décès d'une mère
à l'âge où tout reste à apprendre. L’intérimaire Pierre
Tardieu vit de petits boulots. Tantôt employé dans une déchetterie,
tantôt agent d'entretien sur des avions de tourisme. Jamais heureux.
Pas d'amis (ou si peu), pas de compagne avec laquelle partager
son existence. Juste un père, malade. Sénile. Incapable de se
suffire à lui même et que Pierre a entièrement pris en charge
depuis qu'il a envoyé balader l'aide à domicile. Pierre cache un
lourd secret qu'il ne partage qu'avec son père. Il kidnappe depuis
dix ans, hommes et femmes, les séquestres dans le sous-sol de la
demeure familiale construite par son grand-père il y a longtemps
déjà. Une cave secrète qui servait durant la seconde guerre
mondiale, à cacher les juifs de l'envahisseur nazi. Puis vient le
moment de se débarrasser de l'encombrante victime du moment. Un coup de pied
de biche bien placé ou une balle dans le corps suffiront à
définitivement éliminer les proies de ce tueur qui recense
méthodiquement dans de vieux cahiers d'école achetés auprès du
libraire et seul proche de Pierre, Damien Pasquet, les différentes
étapes menant à l'enlèvement, puis au meurtre de chacune de ses
victimes.
Puis c'est la rencontre
avec Laure Ouan. Jeune femme qui tout à fait par hasard s'avère
être une amie de la toute première victime de Pierre tuée il y a
dix ans déjà. Une histoire d'amour naissante. Inattendue dans ce
climat des plus austère qui transpire la tristesse à chaque plan.
Pour ce premier long-métrage en tant que réalisateur, le cinéaste
Éric Cherrière signe une œuvre parfaitement maîtrisée. Et si
dans un premier temps, la froideur et l'impersonnalité du climat
laissent envisager d'un film qui ne tiendra pas longtemps la route
face à l'ennui qui sommeille et risque de projeter le spectateur
dans le monde merveilleux des rêves, on finit pourtant par
être irrémédiablement attiré par cette histoire traitée de manière
fort habile.
Si la plongée dans la
psyché des sociopathes n'est pas vraiment chose courante en France à
part en quelques rares occasions (pour exemple, le Noé cité plus haut ou encore
l'étonnant Barracuda de Philippe Haïm avec le
regretté Jean Rochefort), Cruel n'a pas non plus vraiment de
rapports avec les Maniac et les Schizophrénia
servant de références aux amateurs du genre. Nous sommes davantage
face à un long-métrage esthétisant son propos à la manière d'une
œuvre auteurisante sans pour autant gâcher le tableau à
travers des scories prétentieux. Non, tout ici est question de
finesse. Dans le jeu de ses deux principaux interprètes que sont les
sosies d'Alain Bashung, Jean-Jacques
Lelté et de Mélanie
Laurent, Magalie Moreau, toute la virtuosité du cinéaste est de
créer l'empathie pour un homme à priori épouvantable.
Un
gamin en quelque sorte, figé dans son enfance. Dont l'existence est
éclairée par ses seuls souvenirs. L'intrigue policière étant
réduite à sa plus simple expression, Cruel
est un voyage intérieur particulièrement sombre, auquel certains
auront sans doute beaucoup de mal à adhérer. Mais la récompense,
en réalité, est grande, puisque au delà des quelque déceptions
qui pourraient naître des débuts plutôt mollassons, Cruel
se révèle par la suite particulièrement passionnant. Bien que le
sujet devrait naturellement s'y opposer, on s'attache à ce
personnage que la vie n'a pas épargné. Et même si l'on rejette en
bloque ses actes de barbarie, qui ici nous sont livrés avec une
économie de moyens bienvenue (pas la peine de donner dans le
crapoteux), Pierre risque de vous hanter un bon moment. A noter la
présence exceptionnelle d'un acteur bien connu, Yves Afonso, qui
outre le fait qu'il débuta sa carrière au cinéma au milieu des
années soixante traîna sur les plateaux de bon nombre de
longs-métrages dont L'Aile ou la Cuisse
(Le faux plombier espionnant Louis de Funès pour le compte de Julien
Guiomar, c'est lui), Les Charlots en Délire,
Radio Corbeau,
ou encore Tenue Correcte Exigée.
Cet acteur français né à Saulieu en 1944 était très souvent
comparé à Jean-Paul Belmondo. A noter également que le film resta dans les cartons durant trois ans avant de se voir offrir une sortie cinéma le 1 février 2017. Cruel demeure
une excellente surprise accompagnée par la superbe partition musicale d'Olivier Cussac, et à côté de laquelle il serait dommage, et
même stupide de passer...
Et aussi Maurice Poli (Belle et Sébastien 1965) qui fît l'essentiel de sa carrière en Italie
RépondreSupprimerdans le cinéma bis !