« L'homme en noir fuyait à travers le désert et le
pistolero le poursuivait... ».
Ainsi s'ouvrait le tentaculaire ouvrage de Stephen King, La
Tour Sombre. Les fans de cette
œuvre époustouflante le comprendront assez rapidement : son
adaptation au cinéma par le cinéaste danois Nikolaj
Arcel aura pris de très larges libertés avec le récit original. Le
réalisateur, aidé des scénaristes Anders-Thomas Jensen, Akiva
Goldsman et Jeff Pinkner prend le roman à son compte et le
transforme en un objet qui paraîtra bien évidemment aux yeux des
fans du romancier comme une trahison. Si certains estimeront qu'il
s'agit là d'un détail, le fait que le personnage de Roland
Deschain, le pistolero en question, passe du blanc au noir est
cependant très significatif.
On ne va y aller par quatre chemins :
les fans de La Tour Sombre,
le cycle de romans, se répéteront inlassablement que « non !
Il ne s'agit pas de l'adaptation de leur œuvre préférée du
King. ».
Tout au plus la vulgarisation d'un univers tellement vaste et
complexe que pour parvenir à ses fins et produire un long-métrage
ne durant pas plus d'une heure, et vingt et quelques autres minutes
(surtout si on lui ôte celles du générique de fin), le cinéaste
danois a dû faire de très nombreuses coupes franches. Comme dès le
départ, cette ouverture qui à l'origine nous contait la longue
traversée du désert du héros Roland Deschain. En tant que tel, La
Tour Sombre,
le film, est alors une daube incommensurable. Une honteuse adaptation
qui ne soustrait de l’œuvre littéraire que ce qui l'arrange. Une
insulte pour les millions de fans de l'auteur de Carrie,
Simetierre,
et Christine.
Mais par pour le King qui, apparemment, a encensé l’œuvre de
Nikolaj Arcel tandis qu'il avait émis à l'époque de sa sortie, une
certaine réticence envers l'adaptation de l'excellent Shining
par
le cinéaste britannique Stanley Kubrick. Stephen King serait-il
meilleur auteur que critique ? Oui, très certainement.
Western,
heroic Fantasy, science-fiction, action, tout ceci sous perfusion de
musique épique. Un long-métrage à l'attention des familles. Qui
dénué de toute la profondeur du récit original laisse pantois. Pas
d'admiration, non. Un film qui n'est même pas digne de figurer parmi
les meilleurs blockbusters de la décennie. C'est dire si l'ouvrage
et poussif, brouillon, expéditif.
Durant
un instant, pourtant, on se prend à rêver : A imaginer que le
cinéaste n'a ouvert qu'une nouvelle des nombreuses portes menant
vers l'univers de La
Tour Sombre.
Une préquelle annonçant alors l'arrivée prochaine d'une trilogie ?
D'une tétralogie. D'une quintologie ? Car comment expliquer
alors l'absence de certains des plus importants personnages de cette
immense épopée ? Où donc est passé l’héroïnomane Eddie
Dean ? Pourquoi son épouse, Susannah, la schizophrène
afro-américaine amputée des deux jambes, est-elle absente ?
Comment expliquer la disparition du bafou-bafouilleux, Ote, l'animal
de compagnie de Jake Chambers, seul rescapé avec Roland Deschains du
nettoyage aux grandes eaux dont a été victime le long-métrage ?
Certains
auront beau dire qu'au delà de la déception, le film demeure tout à
fait regardable, je leur répondrai que oui, c'est certain, mais
qu'il lui manque tout le sel, toute la sève qui faisaient du roman
original un voyage extraordinaire. Des personnages attachants dont on
se fiche désormais de savoir quel sort leur sera attribué. Pire :
le film est tellement mauvais qu'il ôtera sans doute à certains des
nons-initiés, la volonté de se plonger dans l'ouvrage de Stephen
King. Si l'on approfondit la chose, avec ce petit brin de paranoïa
que l'on pourrait éventuellement développer devant un tel désastre,
on pourrait aller jusqu'à émettre l'hypothèse que La
Tour Sombre,
le film n'est qu'une immense affiche publicitaire vivante consacrant
avec mauvais goût, l’œuvre de toute une vie d'un écrivain
terriblement productif.
Lorsque
l'on retourne en arrière, que l'on suit la genèse du long-métrage,
on se dit qu'il n'aurait pu en être autrement. Le projet courrait
depuis maintenant dix ans. Tant de studios de production et de
cinéastes se sont succédé que le résultat ne pouvait ressembler
au final qu'à une œuvre bâtarde. Un budget de soixante millions de
dollars pour un bénéfice de cinquante sur le sol américain. En
comptant les recettes mondiales, le film n'a finalement remporté que
le double de la mise de départ. Et même un peu moins d'ailleurs. Un
sort accordé au film bien mérité. Le plus troublant dans toute
cette histoire sont les enjeux qui furent placés au cœur du projet.
Un projet de longue haleine donc, mais un résultat plus que
médiocre. Si La Tour
Sombre demeure
bouleversant, ça n'est sans doute pas pour ses qualités narratives
ou esthétiques mais bien pour l'immense et amère déception qu'il
aura généré dans l'esprit des fans du monde entier. Triste
dénouement...
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