La folie n'ayant pas de
frontières, il n'est pas un continent qui ne partage pas cette même
vision totalement barrée du septième art. De l'Asie, en passant par
l'Amérique, l'Australie ou comme ici l'Europe du Roi espagnol Felipe
VI, il est des cinéastes qui ont compris que pour faire bouger les
choses ou du moins ancrer leur message dans la tête des
téléspectateurs il ne leur fallait pas se contenter de matérialiser
leurs fantasmes à travers une mise en scène par trop classique.
Auteur de nombreux courts-métrages dont Eat My Shit
en 2015 qui donna naissance deux ans plus tard à une extension
cinématographique beaucoup plus longue sous le titre Pieles,
l'acteur, scénariste et réalisateur espagnol Eduardo Casanova est à
lui seul un véritable ovni. Avec son look qui ne laisse parfois
presque aucun doute quant à son orientation sexuelle, l'homme a déjà
derrière lui de sacrés bagages en matière de filmographie. Si
Pieles
ressemblait déjà à l’œuvre-somme d'un artiste qui semblait
n'avoir déjà plus rien à prouver en matière de délire visuel et
prosthétique, son avant-dernier long-métrage intitulé La
Piedad confirme
l'angle sous lequel il a décidé de mener sa carrière. Après avoir
exhibé lors de son antépénultième long-métrage des individus
affublés de difformités physiques pour le moins fort improbables,
le voici mettant en scène la relation toxique entre une mère et son
fils. Même goût prononcé pour les couleurs pastelles. Pour le
rose-bonbon. Un design une nouvelle fois remarquable même s'il
n'empêche pas au film de revêtir un apparat parfois des plus
kitsch ! Tout comme la bande-musicale confiée cette fois-ci au
compositeur Pedro Onetto. Parfois si outrancièrement caricaturale
que sa grandiloquence finit par grossir le trait d'une émotion qui
pour émerger à cependant besoin de sa présence. Car à force de
cultiver son goût pour des costumes que nos semblables parmi les
plus détachés du ''qu'en-dira-t-on''
n'oseraient peut-être pas porter et à laisser envisager que la
plupart des décors ne sont qu'un assemblage d'images reproduites sur
fond vert, il est parfois difficile de voir en La
Piedad
autre chose qu'un étrange rêve, un conte dérangeant axé sur
l'étrange relation d'une mère et de son fils alors confrontés à
la maladie et la mort...
En
sous-intrigue qui originellement ne semble avoir qu'un intérêt tout
relatif, Eduardo Casanova ajoute une série d'informations télévisées
toutes exclusivement consacrées à la Corée du Nord. Mais ce qui
semble être tout à fait hors de propos, sortant ainsi du cadre
principal, est peut-être l'élément qui permet à Libertad (Angela
Molina) de retenir chez elle son fils Mateo (Manel Llunell). Comme la
première partie de l'italiano-australien Bad
Boy Bubby
du réalisateur austro-néerlandais Rolf de Heer dans lequel une mère
retenait pendant trente-cinq dans une pièce unique son fils en lui
faisant croire que l'air extérieur était toxique ! Esthétiquement,
les deux oeuvres n'ont pourtant aucun point commun. Après la crasse
de Bad Boy Bubby,
c'est au tour du visuel très léché de La
Piedad.
Un film qui ne recule devant rien lorsqu'il s'agit d'être
démonstratif. Même lorsque cela ne sert pas forcément l'histoire.
Comme lorsque mère et fils vomissent à grands jets sur la table de
la salle à manger. Le spectateur qui s'est déjà fait la main sur
le précédent long-métrage de l'espagnol aura le plaisir d'assister
à quelques très rares fulgurances comme lors de la séquence de
l'accouchement. Pittoresque, absurde, confondant le drame et la
comédie, La Piedad
ne convainc pas toujours. Et même, à vrai dire, assez peu. Même si
la complicité de ses deux principaux interprètes est tangible et
palpable. Pourtant, derrière cette froideur dont on se demande si
elle est toujours assumée se cache quelques trésors d'émotion qui
récompensent les spectateurs les plus courageux. Ou du moins, ceux
qui auront décidé de vivre cette étrange expérience jusqu'au
bout. Car alors, comment oublier cette séquence entre la mère et
son fils, assis sur le lit maternel, et tandis qu'après avoir pris
son traitement contre le cancer incurable dont il est atteint, Mateo
prend le sein que Libertad lui tend. Un acte d'amour que d'aucun
jugera de provoquant mais qui au fond symbolise à merveille ce
besoin charnel, cette passion et donc cet amour que le réalisateur
n'a cessé de vouloir filmer durant plus de quatre-vingt dix minutes.
Bref, une expérience hors norme, digne successeur de Pieles...
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