Après avoir tourné une
dizaine de courts-métrages dans son pays natal, le cinéaste
franco-polonais Roman Polanski s'essaie au long-métrage en 1962 avec Le
Couteau dans L'Eau. Comme il en sera question dans son
troisième film Cul-De-Sac en 1966, le cinéaste aborde
le sujet de la dualité. Et comme cela sera aussi le cas dans
celui-ci, l'univers des personnages est déjà restreint par la
présence d'une immense étendue d'eau. A bord d'un petit voilier,
trois individus. Un couple marié, aisé, et un jeune étudiant
qu'ils ont pris en stop.
Andrzej...
... est un homme d'à peu
près quarante ans, peut-être même un peu plus. Il est le
propriétaire d'un petit voilier et d'un compte en banque bien
fourni. C'est l’intellectuel du trio, bien qu'il lui arrive de
suivre les matchs sur sa petite radio de voyage. L'idée de situer
l'intrigue sur un bateau, Roman Polanski la développe d'abord parce
que la voile le passionne depuis une huitaine d'années. C'est sa
compagne d'alors, une certaine Kika Lelinska, ancienne championne de
ski avec laquelle ils forment un couple libre, qui lui apprend les
rudiments de la voile. Ses codes également, dont le mépris pour les
terriens se lit ici sur le visage d'Andrzej, le propriétaire du
voilier. Afin d'augmenter l'enjeu social, le cinéaste ne cesse de
réécrire les dialogues et engage l'acteur Leon Niemczyk. Un brin
maniéré dans sa façon d'aborder son personnage, il interprète de
manière idéale un Andrzej arrogant et sûr de lui. Il a d'ailleurs
bien raison puisque lors des quelques duels qui l'opposent au jeune
étudiant il conserve à chaque le dessus.
Krystyna...
… est l'épouse
d'Andrzej. Elle ne doit pas avoir davantage qu'une trentaine d'année.
On lui en donnerait presque un peu moins si elle n'avait pas
l'habitude de traiter leur « invité » qu'il lui ne doit
pas avoir plus de vingt ou vingt-cinq ans comme un adolescent. Si
dans un premier temps elle s'efface durant le jeu viril opposant les
deux hommes, Roman Polanski nous livre peu à peu ses charmes et sa
personnalité qui jusqu'ici étaient bien enfouis derrière une robe,
une paire de lunettes et un chignon parfaitement exécuté. Krystyna,
c'est l'actrice Jolanta Umecka. Elle est jeune, belle, désirable.
Elle est le point central du duel qui va opposer son mari et le jeune
auto-stoppeur. Dès les premières minutes, on sent bien qu'entre
elle et son époux, le torchon brûle. Peut-être cette différence
d'âge a-t-elle son importance. A moins qu'il ne s'agisse tout
simplement de son comportement à lui lors du voyage en voiture, et
même plus tard sur le bateau. Il y a l'usure du couple, inexorable.
Lui doit bien l'avoir senti, et pour racheter un peu de cet amour
frais qui peu à peu semble s'être consumé, il trouve la proie
idéale.
L'étudiant...
… il est un peu paumé,
pas sûr de savoir où il se rend. Alors, lorsque l'occasion de
« mettre les voiles » le temps d'une journée se
profile, il saute sur l'occasion. Bien plus jeune qu'Andrzej, c'est
l'adversaire idéal. Pour le quadragénaire, c'est l'occasion de
montrer l'étendue de ses facultés. D'abord, à travers ses
connaissances en matière de navigation. Puis viennent les épreuves
de force. Et même une partie de Mikado dont les enjeux prennent la
forme de gages. Pour l'étudiant (l'acteur Zygmunt Malanowicz), c'est l'humiliation. Il a beau
posséder un couteau dans sa poche, il ne lui sera d'aucune aide.
Mais sa meilleure arme, le sait-il déjà, ce sera Krystyna, que le
comportement d'Andrzej commence à rendre malade. Allant jusqu'à
tromper son mari parti chercher l'étudiant dont il croit avoir causé
la mort par noyade après l'avoir fait passer par dessus bord.
C'est peut-être curieux,
ou peut-être même un sentiment personnel qui n'est partagé par
personne d'autre, mais les événements de ce Couteau dans
L'Eau
n'ont pu être digérés que deux ou trois jours après son
visionnage. En revenant me hanter alors qu'il m'avait pratiquement
laissé indifférent au moment de le découvrir, j'ai pu y déceler
une critique féroce de la société. De ces deux mondes qui se
télescopent dans le meilleur des cas et s'ignorent royalement dans
le pire (à moins qu'il ne s'agisse du contraire). Pour son premier
long-métrage, Roman Polanski y exploite une partie des
préoccupations qui ne cesseront de revenir sur le devant de la scène
durant toute sa carrière. Et pour un coup d'essai, c'est un coup de
maître. Tout Polanski ou presque y est déjà. Le
Couteau dans L'Eau
remporta le prix de la critique à Venise en 1962...
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