Vingt-trois ans que l'on
attendait le retour du réalisateur des cultissimes El Topo,
La Montagne Sacrée et Santa Sangre.
Vingt-trois ans à attendre que l'acteur, mime, romancier, essayiste,
poète et surtout cinéaste Alejandro Jodorowsky réapparaisse dans
la vie des cinéphiles du monde entier. Autant d'années à espérer
son retour avec cette petite pointe d'angoisse qui nous faisait
espérer qu'il n'avait rien perdu de son génie. On aura espéré son
retour dès le début des années 2000, et son projet de suite à son
immense El Topo, Les Fils d'El Topo,
rebaptisé AbelCain
à la suite d'un litige avec juridique avec le producteur Allen
Klein. En 2010,
on annonce un projet commun à Alejandro Jodorowsky, David Lynch et
Marilyn Manson intitulé King Shot,
mais qui semble à ce jour avoir été rangé dans les cartons. Il
faudra en fait patienter jusqu'en 2012, année durant laquelle le
cinéaste chilien fait un appel à des dons sur Internet afin de
produire son futur projet, La Danza de la
Realidad.
Après les désillusions passées, on pouvait redouter encore
l'abandon de celui-ci. Et pourtant, le dernier film de Alejandro
Jodorowsky sort en 2013.
La Danza de la
Realidad,
c'est avant tout l'histoire d'Alejandro Jodorowsky, vu à travers son
propre regard. Première partie de ce qui sera sans doute une
trilogie (le second volet Poesia Sin Fin
ayant déjà été tourné et la troisième partie déjà évoquée),
il nous conte le récit d'Alejandrito, fils de Jaime et Sara
Jodorowsky. La petite famille, juive et originaire de Iekaterinosla
en Ukraine a bien du mal à se débarrasser de son statut. Installés
dans la ville de Tocopilla au Chili, l'ambiance est à la montée du
Fachisme et de son plus cruel représentant au pays, le tyrannique
Ibáñez.
Jaime
Jodorowsky et les siens ont beau tout faire pour s'intégrer, ils
n'en demeurent pas moins aux yeux de leurs voisins, que de « sales
juifs. ».
L'existence est rude pour le père, mais également pour le fils,
auquel il mène la vie dure. Humilié par Alejandro lors d'une parade
où l'enfant est représenté comme la mascotte des pompiers, Jaime
est de plus victime d'invectives lorsqu'il tente de subvenir aux
besoins des nécessiteux. Voulant prouver à tout le monde qu'il est
le plus courageux d'entre tous, il décide de tuer de ses propres
mains, celui qui représente le fascisme sur sa terre d'accueil,
Ibáñez !
La Danza de la
Realidad,
c'est certain, ne plaira pas à tout le monde. Il continuera
d'alimenter le rejet des anti-Jodorowsky tandis que les fans de la
première heure pourront à leur tour également se diviser en deux
catégories. D'un côté, ceux qui aveuglés par leur passion pour le
cinéaste chilien ne verront dans sa mise en scène qu'un joyau
précieux parfaitement maîtrisé et de l'autre, ceux qui noteront
les quelques failles de son nouveaux projet.
La Danza de la
Realidad est
en effet perfectible. Si l'on retrouve une grande part de ce qui fait
l’œuvre toute entière du cinéaste, cette place importante qu'il
consacre à la religion, la politique et le social, on peut regretter
certains choix esthétiques. Sans trop vouloir pencher du côté des
disciples du maître, disons que le film manque de patine. L'image,
tellement lisse et propre sur elle nuit à l'incroyable spectacle
visuel auquel on assiste parfois. Poésie, surréalisme et
autobiographie se confondent, jusqu'à atteindre parfois un haut
degré d'absurde qui, si à une époque il se révélait pardonnable,
est désormais dommageable. On a parfois l'impression d'assister à
un Soap opera chilien de plus de deux heures, mais c'est sans compter
sur l'extrême maîtrise scénaristique d'Alejandro Jodorowsky qu'on
lui pardonne sans mal ses quelques erreurs.
Ce
volet constitue la première des trois parties d'une trilogie et nous
conte non seulement l'histoire d'une famille d'immigrés tentant de
s'intégrer dans un pays qui les rejette, mais aussi et surtout le
récit d'un homme incroyant (vivant dans une ville où les croyances
demeurent une condition essentielle), qui après avoir échoué dans
sa tentative de coup d'état va, tel le Christ, effectuer un chemin
de croix pour pouvoir retrouver les siens. Le cinéaste confie
le rôle de Jaime (qui était le propre père d'Alejandro
Jodorowsky) à Brontis, son fils dans la vraie vie, et surtout
comédien de théâtre, et que l'on pu découvrir au cinéma pour la
première fois il y a quarante-six ans dans El
Topo
(le gamin, c'était lui), La Montagne
Sacrée
et Santa Sangre
dix-neuf ans plus tard. Le rôle d'Alejandro a lui-même été confié
au jeune Jeremias Herskovits, et celui de la mère à l'actrice et
soprano Pamela Flores. Si comme dit plus haut La
Danza de la Realidad
n'est pas exempt de défauts, il reste une œuvre passionnante pour
qui saura en faire abstraction. On a déjà hâte de découvrir la
suite de l'autobiographie semi-imaginaire du grand Alejandro Jodorowsky...
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