Avec son titre, Reality
pourrait se faire passer pour une œuvre de science-fiction et
d'anticipation dystopique et pourtant, le premier long-métrage
écrit, réalisé et produit par Tina Satter en 2023 entre bien dans
un contexte historique réel puisqu'il s'inspire d'un fait qui se
produisit en 2017 lorsque la linguiste cryptologue et ancienne
employée des services secrets américains Reality Winner fut
soupçonnée puis reconnue coupable avant d'être condamnée à cinq
ans d'enfermement à la prison de Lincoln County à Lincolnton, en
Géorgie pour avoir fait fuiter un rapport de renseignements
concernant des accusations d'ingérences russes dans l'élection
présidentielle américaine de 2016 qu'elle aurait envoyé au
magazine web The
Intercept.
Film d'une durée relativement courte puisque n'excédant pas les
quatre-vingt deux minutes, Reality
entre directement dans le vif du sujet, sans chichis ni froufrous,
prenant le spectateur à témoin lors de l'interrogatoire de la jeune
femme alors âgée de vingt-cinq ans qui chez elle fut soumise à un
certain nombre de questions s'agissant de ce que l'on nommera
l'Affaire du
Russiagate.
D'emblée, et à partir du titre lui-même, Tina Satter s'intéresse
en priorité au personnage de Reality Winner. À travers le regard de
l'actrice Sydney Sweeney dont la carrière semble s'envoler depuis
ces dernières années (on l'a notamment découverte dans l'excellent
Immaculée
de Michael Mohan il y a quelques mois), la réalisatrice capte avec
attention le visage de son héroïne dont l'actrice a parfaitement
intégré l'attitude. C'est d'ailleurs en grande partie grâce à son
interprétation que le film fonctionne tout d'abord. Car à côté de
la performance de Sydney Sweeney, l'économie de moyens dont fait
preuve la production contraint d'autres critères comme
l'interprétation à s'élever au delà de la simple incarnation,
sans âme et dénuée de tout talent. La jeune actrice personnifie à
merveille cette lanceuse d'alerte, maintenant une certaine ambiguïté
durant un récit dont la sobriété se conjugue à merveille avec le
décor nu et austère d'une pièce sans chaises ni table où
d'ailleurs le gros de l'intrigue se déroulera.
Et
puisqu'il faut confronter la jeune femme à ses interrogateurs, la
réalisatrice convie au sein du casting les acteurs Josh Hamilton
(ici doublé par Nicolas Marié) et Marchánt Davis, lesquels
incarnent respectivement les agents du FBI
Garrick et Taylor. Ce dernier étant souvent en retrait, le premier,
lui, apparaît comme le gentil agent, prévenant auprès de la jeune
femme, la questionnant sur tout et rien. En fait, une technique bien
connue consistant à manipuler la personne soupçonnée afin de la
mettre en confiance et ainsi la pousser à se confier. C'est sans
doute de ce point de vue là que le film tire sa plus grande force en
dehors de l'impeccable interprétation des trois acteurs. Cette lente
et inéluctable progression vers la vérité selon laquelle Reality
Winner aurait effectivement fournit des documents sensibles pour la
démocratie et les renseignements américains. Pourtant, le film ne
va pas tout à fait au bout des choses. À vouloir aller en
profondeur l'on aurait sans doute aimé que la moindre information
nous soit divulguée plutôt que d'être éclipsée à travers des
moyens visuels, certes très étonnants, mais censurant certaines
infoprmations. Servant d'ailleurs de matière première à quelques
séquences qui laissent envisager des pertes de mémoires fort mal
contrôlées par notre héroïne qui peu à peu se désagrège aussi
bien physiquement qu'intellectuellement. Dans la série des grandes
affaires crimino-judiciaires américaines, Reality
n'est évidemment pas aussi profondément documenté qu'un JFK
signé en 1991 par Oliver Stone ou tout autre type de long-métrage
du même genre. Et cela, bien que le film de Tina Satter repose sur
la transcription mot pour mot de l'interrogatoire que subit le 3 juin
2017 Reality Winner. Le formalisme avec lequel la réalisatrice
traite son sujet peut paraître écrasé face à l'ampleur du sujet
mais par ailleurs, c'est bien l'interprétation de ses trois acteurs
principaux qui fait de Reality
une œuvre que l'on pourrait presque qualifier de coup
de poing
tant elle a tendance à démontrer le terrible contraste qui existe
entre un citoyen d'apparence lambda et des autorités chargées de
lui faire cracher le morceau. Au final, Reality
est un curieux mélange entre vérisme et surréalisme. Entre
l'authenticité du propos et l'improbable environnement dans lequel
les événements ont lieu...
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