La mise en abyme au
cinéma est un exercice de style auquel se sont laissés aller un
certain nombre de cinéastes et dont le français Michel Hazanavicius
fut l'un des derniers représentants puisqu'en 2022 il signa le
remake du film culte du réalisateur japonais Shin'ichirō Ueda, Ne
coupez pas ! Lequel était sorti cinq avant que l'auteur de
La classe américaine, de The Artist ou
des Infidèles ne signe donc une adaptation plus
sobrement intitulée Coupez !Que l'on apprécie le
concept d'origine ou non, que l'on soit systématiquement réfractaire
au cinéma hexagonal (oui, oui, ce genre d'individus existe
réellement) et pour finir, que l'on soit d'accord ou non avec moi,
le remake de Michel Hazanavicius est très nettement supérieur à
l'original. Bien que le côté bricolé peut raisonnablement être
perçu comme une valeur ajoutée (le Evil Dead de Sam
Raimi demeure sans doute l'un des meilleurs exemples), la ligne
directrice du réalisateur français, lequel a semble-t-il laissé un
champ de liberté un peu moins important à ses interprètes, permet
une lecture beaucoup plus claire et précise de son œuvre que celle
de Shin'ichirō Ueda. Mais le sujet n'étant pas là, revenons-en au
film qui nous préoccupe ici. Cédric Khan, auteur de Roberto
Succo en 2001, de Fête de famille en 2019 ou
du Procès Goldman l'année passée est très
rapidement retourné derrière sa caméra pour nous offrir une
comédie dramatique absolument remarquable. Signe de ses prévisibles
qualités, la présence à l'image du pensionnaire de la Comédie
Française Denis Podalydès qui derrière ce titre éminemment
pompeux cache un comédien véritablement talentueux. Comme son titre
l'indique, le dernier long-métrage de Cédric Khan tourne autour
d'un projet cinématographique qui va s'avérer particulièrement
houleux. Entre désaccord artistique lors duquel le réalisateur d'un
drame social (Denis Podalydès dans le rôle de Simon) va tenter de
justifier le choix du scénario face à deux représentants des
producteurs, brouille entre la star du film (incarnée par un
Jonathan Cohen au sommet de son art) et sa partenaire Nadia (Souheila
Yacoub), budget coupé et autres problèmes liés au tournage, Making
of a cette très étonnante particularité d'aborder une
thématique récurrente du cinéma français de ces dix ou vingt
dernières années sous le prisme de la mise en abîme.
Et ici, Cédric Khan
justifie le concept à travers le choix de Simon de faire appel au
jeune Joseph (excellent Stefan Crepon) qui jusque là agissait en
tant que simple figurant et auquel il va confier la lourde tâche de
réaliser le making-of de son long-métrage. Pour celles et ceux qui
ne connaîtraient pas le sens de cet anglicisme, le concept est
relativement simple puisqu'il s'agit d'un documentaire vidéo
relatant les diverses étapes du tournage d'un long-métrage...
Concernant le film de Cédric Khan, celui-ci brille non seulement par
son humour mais également par sa mise en scène. En effet, Making
of s'inscrit dans la grande mode des drames sociaux à la
française dont s'est notamment et ponctuellement fait la spécialité
le réalisateur Stéphane Brisé avec La loi du marché en
2015 ou En guerre en 2018. Dans le cas de Making
of, il s'agit pour Simon de mettre en scène les ouvriers
d'une usine qui a fermé ses portes et de revenir justement sur le
combat qu'il menèrent contre leur ancienne direction. Contrairement
à ce que désire le réalisateur, les producteurs espèrent une fin
heureuse au récit de ses personnages, allant ainsi à contre-courant
des événements qui se produisirent et auxquels Simon veut se tenir.
Perdant plus d'un million de financement, des tensions commencent à
se faire sentir au sein de l'équipe de tournage et parmi certains
acteurs. Cédric Khan signe une œuvre entièrement acquise à la
cause du cinéma. Avec ses bons et ses mauvais côtés. Mais là où
Making of sort du lot est dans sa mise en scène
''extra lucide'', dominée par le cas de cette usine qui a fermé ses
portes et par ses employés que Simon choisi de prendre comme
principaux interprètes de son nouveau long-métrage. Cédric Khan
met en parallèle les événements passés à ceux qui justement sont
en train de parasiter le bon déroulement du tournage. Ensuite, en
dehors de quelques ''Coupez !'' signifiant la fin du tournage
d'une scène, le réalisateur français fait se confondre la fiction
et la réalité, tant et si bien qu'il plonge les spectateur au cœur
même des préoccupations de ses ouvriers mis à la porte de leur
usine. Rarement l'on aura perçu une comédie dramatique comme
pouvant pleinement revendiquer ces deux genres théoriquement
antinomiques que sont l'humour et le drame. Car au delà de la
tragédie qui vise à juxtaposer le sujet même du film de Cédric
Khan à celui de Simon, Making of filme avec brio le
combat d'hommes et de femmes proprement abandonnés par leur
direction après des années de bons et loyaux services. Bref, un
excellent film à découvrir de toute urgence...
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