Il est un principe
fondamental sur lequel repose le récit de La zone d'intérêt
et qui donne toute son ampleur à l’œuvre de Jonathan Glazer :
Connaître un tant soit peu notre Histoire et notamment les
événements tragiques qui se déroulèrent lors de la Seconde guerre
mondiale. Sans cela, le long-métrage pourrait apparaître tout à
fait anodin, posant même la question de savoir où se situe
l'intérêt de suivre le quotidien d'une famille allemande vivant
dans une luxueuse demeure entourée d'un imposant mur de béton.
Posée les bases de cette connaissance, l'aventure prend alors une
toute autre dimension. Ici, ce n'est parfois pas tant les dialogues
qui guident le spectateur vers l'atroce vérité que certains actes
du quotidien. Un nouveau manteau de fourrure pour la maîtresse de
maison, des bottes crottées qu'un employé juif devra cirer ou même,
déjà plus effroyable, des dents en or qu'inspecte lorsque vient la
nuit, le fils aîné du ''propriétaire'' des lieux et Commandant du camp
d'extermination mitoyen. Tous ces petits détails qui mis bout à
bout relèvent de saisissants témoignages d'une vérité crue et
plus ou moins sordide dont furent victimes des millions de juifs. Et
que dire de ce fond sonore incessant, persistant, vrillant presque
les tympans, causant presque des nausées et des maux de tête à
force de ne jamais s'arrêter et de devenir même presque
assourdissant, signifiant les activités de jour comme de nuit de
l'armée allemande face à la Solution Finale ? Deux jeunes
frères qui jouent aux petits soldats. Une gamine qui rêve de perdre
du poids pour porter une robe qui pour l'instant est trop petite pour
elle. D'un côté, l'insouciance du jeu de la guerre, de l'autre le
symbole épouvantable de l'innocence bafouée. La normalité et
l'anormalité se conjuguent, se confondent en un contexte clinique
que n'aurait probablement pas renié l'autrichien Michael Haneke.
L'horreur filmée toute en suggestion, en tableaux
figés effroyablement beaux. Impossible de distancier la vie de cette
famille faussement avenante des horreurs dont émergent quelques
micro-événements dont la sobriété et la maestria de mise en scène
de Jonathan Glazer rendent plus insupportable encore que la simple
évocation.
Hors-champ, un allemand
hurle ici, on l'imagine, l'écume aux lèvres, un ''Avance, sale
rat''. Là, l'écho de dizaines, de centaines de victimes agonisant,
asphyxiées au gaz toxique Zyklon B dans des chambres à gaz. Nul
besoin de faire notre éducation, de dresser le tableau sinistre des
actes ignobles perpétrés par l'armée allemande lors du second
conflit mondiale pour que l'esprit percute avec ce que l'on a gardé
en mémoire de ce temps si peu lointain. L'humain tel le spectateur
qu'il est participe directement à l'aventure, tente d'échapper à
l'imagerie épouvantable qu'il a conservé de cette atroce partie de
son histoire et dont Jonathan Glazer a malgré tout la pudeur de nous
épargner une trop importante démonstration. Il est fou de
considérer que La zone d'intérêt puisse
être aussi inspirant alors même que le long-métrage se montre
avare en image véritablement chocs ! Inutile de préciser que
les meilleures conditions pour découvrir le dernier long-métrage de
l'auteur de l'étrange et fascinant Under the
Skin
il y a onze ans se doivent d'être respectées. À savoir que la
version originale s'impose obligatoirement. Filmé dans la demeure
même où vécurent l'officier nazi Rudolf Höss et sa famille entre
1940 et 1943 d'où il dirigea le camp de concentration d'Auschwitz,
ce monstrueux personnage qui, ironie du sort, sera pendu là où
moururent plus d'un million de juifs, est interprété à l'écran
par l'acteur et musicien allemand Christian Friedel. La richesse des
dialogues repose moins sur leur prolifération que sur l'exactitude
avec laquelle ils retranscrivent le contexte dans lequel vécu la
famille Höss et ce qui se déroula à l'extérieur des murs de leur
demeure, à seulement quelques dizaines de mètres de là. La
photographie glaçante de Łukasz Żal, les décors de Chris Oddy et
la très discrète (et parfois suffocante) partition musicale de la
chanteuse et compositrice anglaise Micachu impriment à La
zone d'intérêt un
cachet atone à peine bousculé par de rares travellings (d'ailleurs,
y en a-t-il seulement un seul?). Brillant....
J'ajouterai pour ma part que le film doit absolument être vu dans une salle de cinéma, pour l'isolement au monde que l'oeuvre réclame mais aussi parce que je ne vois pas comment on peut avoir envie de voir un tel film chez soi, au milieu de son environnement quotidien.
RépondreSupprimer"La zone d'intérêt" est une oeuvre riche, ambitieuse et exigeante, sans doute une des plus grands films de ces dernières années. Les ramifications qu'il créé avec l'organisation industrielle de l'entreprise capitaliste, avec l'imaginaire des contes et avec l'opportunisme bourgeois sont extraordinaires. Quant aux travellings, il y en a 3 (si j'ai bien compté), tous latéraux : un sur Rudolpf Höss qui longe le mur du camp, un sur sa femme qui se dirige vers la forêt avant leur désaccord et un sur la jeune fille aux pommes dans la nuit.