L'univers des
supers-héros pollue désormais le septième art depuis environ un
quart de siècle mais peu de cinéastes semblent avoir cherché à
connaître leurs origines. Qui en effet s'est vraiment penché sur
l'enfance de ces êtres différents dont la majorité a choisi d'être
du côté du bien quand d'autres préfèrent l'obscurité ? M.
Night Shyamalan réussissait avec le formidable Incassable
a prévoir la déroute comportementale d'un individu cherchant à
rencontrer l'exact opposé de lui-même. Un être extrêmement
fragile élevé aux Comics
depuis sa plus tendre enfance. Une enfance que l'on retrouve dans le
second long-métrage du réalisateur et scénariste norvégien Eskil
Vogt, The Innocents
(De Uskyldige).
Une œuvre qui sans doute rejoint moralement les thématiques
abordées par le suédois Tomas Alfredson à travers le formidable
Morse
(Låt den Rätte Komma in)
en 2008 et par Severin Fiala et Veronika Franz dans l'anxiogène
Goodnight Mommy
(Ich seh Ich seh)
en 2014. Au centre d'un récit se situant dans un grand ensemble
d'immeubles, quatre gamins dont trois sont atteints de tares
physiques ou intellectuelles plus ou moins importantes. Comme si la
main de Dieu avait touché trois d'entre eux, ces petits êtres
découvrent bientôt qu'au contact des uns ou des autres membres de
ce petit cercle auquel ils appartiennent, ceux-ci sont capables de
développer des pouvoirs. Anna (Alva Brynsmo Ramstad), qui souffre
d'autisme, semble être en mesure d'agir à distance sur les objets.
Un don qu'elle partage d'ailleurs avec Ben (Sam Ashraf). Quant à
Aisha (Mina Yasmin Bremseth Asheim), elle paraît être capable de
lire dans les pensées et de pouvoir agir directement sur le
comportement d'Anna, laquelle retrouvera sporadiquement la parole
pour le bonheur de sa mère incarnée à l'image par l'actrice Ellen
Dorrit Petersen. Récompensé par plusieurs prix dans divers
festivals dont le Grand Prix du Nouveau Genre à L'Étrange Festival
de 2021, The Innocents aurait
pu se contenter de n'être qu'une version en culotte courte axé sur
le phénomène des supers-héros mais le film va bien plus loin en
insistant sur la cruauté dont sont parfois capables nos chères
petites têtes blondes. À l'image d'ailleurs de la jeune Ida, sœur
d'Anna qu'interprète Rakel Lenora Fløttum. Gamine au regard
étrange, à l'attitude pernicieuse qui heureusement adoptera plus
tard une toute autre attitude au regard des monstruosités auxquelles
s'adonnera son nouveau camarade de jeu, Ben.
Ce
gamin relativement typé vivant avec sa mère dans l'une des grandes
tours du quartier a semble-t-il comme principale passion, la cruauté
envers les animaux. Un comportement qu'il s'autorisera plus tard à
avoir envers ses semblables. Eskil Vogt filme son œuvre de manière
froide et presque impersonnelle. Ce qui tend à rendre les
agissements de son petit psychopathe éminemment glaçants. En ce
sens, le jeune acteur norvégien Sam Ashraf illustre parfaitement
l'attitude excessivement détachée de certains individus capables
des pires atrocités et qui ne prennent pas réellement conscience
du mal qu'ils provoquent. Contrairement à Ida qui au départ observe
l'attitude de son camarade sous l'angle du jeu. Tourné en été, le
climat estival de The Innocents pèse
sur les événements comme une chape de plomb. Relégués au second
plan, les adultes perdent le contrôle de leur progéniture quand
vient l'instant où Ida, sa sœur Anna et Aisha prennent finalement
la décision de stopper Ben dans sa lente et morbide progression
psychopathique... Près de quarante ans auparavant, le réalisateur
uruguayen Narciso Ibáñez Serrador imaginait à travers le film
culte Les Révoltés de l’an 2000 (¿Quién
Puede Matar a un Niño?)
un futur dominé par l'enfance et où toute trace de l'adulte se
devait d'être exclue. Des décennies plus tard, Eskil Vogt enfonce
le clou et procure à ses jeunes personnages des pouvoirs
fantastiques. À eux de choisir alors quelle attitude à adopter.
Alternative ambitieuse et à l'approche indépendante des vagues
successives de films de supers-héros américains estampillés Marvel
et
DC Comics,
The Innocents
brille par son entrée au panthéon d'un genre généralement
boursouflé de CGI
et qui dans le cas de ses quatre héros en culotte courte fait entrer
le genre dans un relatif réalisme. Sans être aussi marquant que le
Morse
de Tomas Alfredson qui de son côté invoquait le vampirisme de son
jeune personnage Oskar qu'interprétait à l'époque l'acteur Kåre
Hedebrant, le second long-métrage d'Eskil Vogt reste malgré tout
une brillante allégorie sur la cruauté de l'enfance...
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