Despues de Lucia
fait
partie de cette catégorie de films qui sur le moyen ou long terme
créent un malaise durable et persistant. L'autrichien Michael Haneke
s'en est fait notamment l'un des chantres durant toute sa carrière.
Qui n'a jamais ressenti un trouble profond devant les actes pervers
de Peter et Paul, ces deux adolescents dont la perversité n'avait
d'égal que les faits-divers relatés depuis quelques années
notamment sur notre territoire (Funny Games,
1997) ? Qui n'a pas été affecté devant les actes de tortures
perpétrés avec une infinie perversion par Ruth Chandler sur ses
propres nièces Meg et Susan Loughlin (The Girl
Next Door
de Gregory M. Wilson, 2007) ? Chaque nouvelle décennie témoigne
dans la vie de tous les jours et sur grand écran des affres de l'âme
humaine, capable des pires atrocités. Le réalisateur et scénariste
mexicain Michel Franco marchait dès 2012 avec Despues
de Lucia
sur les traces du cinéaste autrichien en décrivant le calvaire
d'une adolescente incorporant un nouvel établissement scolaire après
le décès de sa mère dans un grave accident de voiture et suite au
déménagement d'elle et de son père. Femme en devenir, belle,
intelligente et sportive, Alejandra (l'actrice Tessa Ia) se fait
rapidement des amis parmi ses nouveaux camarades. Son père Roberto
(Hernán Mendoza), lui, vient d'ouvrir un restaurant dans leur
nouvelle ville d'adoption. Tout semble donc aller pour le mieux pour
eux lorsqu'un événement qui aurait dû rester bénin va transformer
la vie de l'adolescente en véritable cauchemar... Lors d'une soirée
entre amis, Alejandra s'amuse, boit beaucoup et fini dans la salle de
bain de la propriété où ont lieu les festivités lorsqu'elle et
l'un de ses camarades font l'amour. Avec l'approbation de la jeune
fille, le garçon filme leurs ébats. Mais la vidéo, nous ne saurons
jamais vraiment comment, va se retrouver sur les réseaux. Dès lors,
le comportement des nouveaux amis envers Alejandra va changer du tout
au tout. Insultée, frappée, humiliée et même pire encore,
l'adolescente se tait. Ne dit rien à son père, s'enferme peu à peu
et s'isole...
Puis
arrive cette fameuse sortie scolaire lors de laquelle va s'exprimer
la part la plus sombre de l'âme humaine... Dire que Despues
de Lucia
vous prend de plein fouet pour ne pas vous lâcher d'une semelle est
aussi certain que d'affirmer que l'eau mouille ou que le feu brûle.
La mise en scène de Michel Franco nous projette directement au cœur
d'un cinéma vérité conquis sous la forme d'une multitude de plans
fixes. Les rares mouvements, eux, sont majoritairement créés
autour du cadre. L'on passe alors d'une vision constante mue par
quelques soubresauts ou au contraire, par des actes d'une violence
inouïe. C'est en cela que le cinéma du mexicain rejoint celui de
l'autrichien. Le spectateur observe sans rien pouvoir y faire, une
succession d'actes de barbarie. Ajoutant au deuil de l'adolescente la
confrontation permanente de ses camarades, le long-métrage n'en est
que plus inconfortable. Le phénomène d'essaim n'en est également
que plus démonstratif. Il suffit effectivement d'un acte, un seul,
pour qu'un autre phénomène se déclenche : l'effet domino.
Despues de Lucia
crie en silence le désespoir de sa jeune héroïne magistralement
interprétée par Tessa Ia tandis qu'autour d'elle, le monde continue
de tourner. Et c'est peut-être en cela que le film fait si mal. Pire
que de la voir giflée, traitée de pute, servir d'urinoir ou être
violée, c'est bien ce silence assourdissant qui rend l’œuvre
encore plus cruelle. Et pourtant, devant tant d'horreur mises sur le
compte du quotidien, parfois même odieusement relativisées, la
pudeur avec laquelle le réalisateur et scénariste met en péril
l'existence de son héroïne fait que l'on ne peut à aucun moment
détourner le regard. Ou comment affronter l'horreur, sans œillères.
Et s'il en demeure qui restent insensibles devant le sujet du
harcèlement que relèguent les médias, qu'ils projettent donc
Despues de Lucia.
Le film de Michel Franco devrait, espérons-le, leur remettre les
idées dans l'ordre. Bouleversant...
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