Difficile d'aborder
Melancholie der Engel
de Marian Dora sans évoquer le fait que l’œuvre est d'abord et
avant tout le produit d'une folle ambition combattant à armes égales
avec l'évident amateurisme de l'auteur et de son groupe
d'interprètes. Avec ses cent-cinquante huit minutes, ce projet très
étrange risque d'en faire défaillir certains avant son terme. Qui
de sommeil ou qui de dégoût. Mais dans un cas comme dans
l'autre, nul autre que celui qui aura vécu l'expérience jusqu'au
bout pourra donner un avis éclairé sur ce véritable objet filmique
(presque) non identifié. Au crédit de Marian Dora, une
accumulation de plans qui démontre le gargantuesque travail
d'archivage d'un réalisateur qui filme à peu près tout ce qui
passe devant l'objectif-Oeil de sa caméra en mode voyeurisme.
Deux-heures et trente-huit minutes au départ desquelles et surtout,
au delà de l'inconséquence de la plupart des actions perpétrées
par les protagonistes, Marian Dora nous présente cinq personnages.
D'un côté, deux hommes et une femme. De l'autre, deux adolescentes
jouant au Ball-trap dans une fête foraine. Le premier des deux
hommes est un entreprenant individu tandis que le second, lui, est
tout le contraire. Distant, méfiant, mais sans cesse décrit comme
fasciné par celle qui les accompagne. Quant aux deux jeunes femmes
qu'ils viennent d'aborder, elles ne se doutent pas de ce que les deux
hommes leur réservent pour la soirée et les jours à venir. Avec sa
profusion d'images à connotation morbide (gros plans sur des
carcasses surmontées de têtes de poupées grouillants de vers lors
du générique ou mannequins de foires inquiétant lors de la toute
première partie du long-métrage), Marian Dora instaure d'emblée
une ambiance lourde, chargée, malsaine et ambiguë. Une épaisse
chape de plomb renforcée par un grain plus poisseux encore que le
16mm. Une musique naïve jouée au piano tente bien de forcer
l'attention sur le côté poétique que le réalisateur essaie
d'instaurer mais la réputation de Melancholie
der Engel
précédant sa projection, le spectateur est déjà prévenu que
l'expérience risque d'être très inconfortable.
À
commencer par la vermine du générique, justement, dont on sentirait
presque l'odeur du cadavre en décomposition dont elle se repaît.
Vient ensuite cette séquence inattendue lorsque l'étrange femme en
noir accompagnant les deux hommes urine debout sans que la caméra ne
voile le moindre détail de cette scène qui prêterait presque à
sourire. Plus tard, celui que l'on croyait tour à tour timide et
réservé puis totalement sous l'emprise de cette curieuse
''femme-maîtresse'' ira se branler au bord d'un lac tandis qu'elle
fera du cheval, nue comme un ver. C'est ainsi que se présente la
poésie chez Marian Dora. Quelques notes de piano
''Claydermaniennes'', un rayon de soleil éblouissant le champ de
vision de la caméra, puis des actes qui mettraient le rouges aux
joues des non-initiés. Bref, pour l'instant, rien que de très
timide en matière de subversion... Nous aurait-on menti sur la
sulfureuse réputation du long-métrage ? Réponse : non !
Car effectivement, celle-ci est tout à fait justifiée, surtout dans
sa seconde moitié, laquelle fait l'étalage d'actes réunis en un
catalogue d'atrocités que même les plus endurcis auront peut-être
parfois du mal à soutenir du regard. Maintenant, tout est question
de point de vue. Deux catégories s'opposent très nettement :
fascination et révulsion. Et chacune d'entre elles pourra accueillir
en son sein diverses tendances. Concernant la première, celle-ci
pourra aussi bien retenir l'attention de ceux qui recherchent avant
tout une certaine applique visuelle esthétique. Et dans le cas de
Melancholie der Engel,
le contrat est parfaitement rempli même s'il ne sera pas du goût de
tout le monde. Ensuite, tous les dépravés de la planète risquent
de trouver à leur goût les exactions auxquelles s'adonneront les
protagonistes et ainsi donc leurs interprètes respectifs puisque
tout n'y est pas scrupuleusement contrefait. Il se trouve ça et là
et en très grand nombre des séquences lors desquelles les actrices
et acteurs donnent physiquement de leur personne. Pour le néophyte,
le rejet sera presque immédiat. Et si par malheur certains osent
s'enfoncer un peu plus loin et même jusqu'à la fin du récit, c'est
bien l'horreur et le dégoût qui se lira sur leur visage. Pour les
autres, même constat, bien que diminué du fait de leur expérience
dans le domaine. Mais toujours est-il que Melancholie
der Engel
demeure l'une des expériences les plus éprouvantes et les plus
dingues qui aient été créée jusqu'à ce jour.
Un
salmigondis de séquences lors desquelles se mêlent la sexualité la
plus bestiale, la plus brutale, avec la religion ainsi que la Mort,
thématique apparemment chère au cœur du cinéaste qui s'éternise
longuement et à de très nombreuses reprises sur le sujet.
Maintenant, pour bien comprendre l'état de sidération dans lequel
nous plonge le long-métrage de Marian Dora, évoquons pour démarrer
les personnages masculins et notamment Brauth et Katze qu'incarnent
respectivement Zenza Raggi et Carsten Frank. Si vous vous demandiez
ce qu'est devenu le chanteur GG Allin depuis sa mort par overdose le
28 juin 1993, il semblerait qu'il se soit réincarné dans la peau de
Katze. Même propension à se foutre à poil et à se branler devant
la caméra ou à déféquer où bon lui semble. Quant à Brauth, il
arrive sans mal à faire de l'ombre au gourou Charles Manson dont il
semble être un suppôt ayant trèèèèèèèèèèèès largement
dépassé les compétences de son maître ! Tortures, viols et
autres sévices surgissent subitement de la part de celui qui jusque
là apparaissait comme le plus sain d'esprit. Tu parles ! Arrive
ensuite en troisième position, l'actrice Patrizia Johann qui dans le
rôle d'Anja S. semble prête à tous les excès pour satisfaire la
passion nécrophilique de Katze. Car oui, j'oubliais de préciser
qu'ici, l'amour est bien différent de celui que pratiquent la
plupart d'entre nous. C'est bien simple, en dehors de la zoophilie,
Marian Dora ne nous épargne absolument rien. Question rejet, le film
ne se pose pas d'emblée à travers ces points de vue crapoteux mais
au sujet de l’Église que le réalisateur et ses interprètes
s'amusent à blasphémer. Autre raison de se sentir choqué sauf
pour ceux que le sujet de la religion laisse totalement indifférents.
Troisième raison de tourner de l’œil ou les talons devant les
horreurs perpétrées face caméra : le traitement accordé aux
animaux. Melancholie der Engel
rappelle en effet l'un des aspects les plus sombres et inacceptables
du cinéma bis transalpin des années quatre-vingt lors desquels
étaient sacrifiés ''pour le bien'' du récit dans certains
''fameux'' longs-métrages à commencer par le plus célèbre d'entre
eux : Cannibal Holocaust
de Ruggero Deodato. Cela commence par une grenouille mais c'est
ensuite un cochon qui est égorgé et pire, un chat. Tout ceci
justifiant apparemment le récit ! Mouais, ça reste tout de
même très limite, voire inconcevable ! Au final, que retenir
de Melancholie der Engel ?
Sans doute qu'il s'agit de l'une des expériences cinématographiques
parmi les plus extrêmes qui soient. La manière avec laquelle le
réalisateur insiste sur la fascination pour la mort donne la nausée
sur le long terme. Après, et malgré les très nombreuses atrocités
visibles à l'image, il est évidemment que Marian Dora a une vraie
vision du cinéma. Personnelle, trash, subversive et choquante. Mais
aussi, esthétique, visuelle, sensorielle et parfois auteurisante.
Bref, on ne sort pas de l'expérience tout à fait serein. Après ça,
rien de mieux qu'une comédie légère, genre La
tour Montparnasse infernale
pour se nettoyer l'esprit de toutes les horreurs auxquelles l'on
vient d'assister...
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