Hésitant parfois
volontairement entre comédie et drame, le premier long-métrage
signé du réalisateur et scénariste Robin Davis apparaît sur les
écrans de cinéma hexagonaux le 21 mai 1975. Soit quatre ans après
la sortie du Chat
de Pierre Granier-Deferre. Drame bien connu qui décrivait
l'implacable destruction d'un couple plein de haine l'un pour l'autre
incarné par les formidables Simone Signoret et Jean Gabin. Nous
n'irons pas jusqu'à dire que Ce cher Victor
atteint les mêmes cimes en terme de cruauté mais la vision que font
le réalisateur et son scénariste Patrick Laurent de leurs deux
personnages et notamment celui qu'interprète Jacques Dufilho est
assez pénible à supporter. Rien de péjoratif en ces termes, non,
mais plutôt l'inquiétude face à un futur qui pourrait tout à
faire devenir le notre. Entre drame et comédie de boulevard, le
long-métrage partage malgré tout une certaine bienveillance pour
ses deux principaux acteurs. Rejoint par l'immense Bernard Blier,
lequel se voit doté d'une ridicule moumoute, Jacques Dufilho incarne
le Victor du titre et son partenaire, Anselme. Deux vieux bonshommes
qui partagent le même vieil appartement à Paris. L'un et l'autre
préparent un futur spectacle en compagnie de leur voisine Anna
Fiorelli qui se prétend être une ancienne cantatrice (l'actrice
italienne Alida Valli). Le quotidien de nos deux hommes n'est fait
que de brimades, de cris et parfois même d'humiliations. Une
existence sans saveur ou presque, du moins pour Victor qui a perdu sa
femme voilà quelques années tandis que de son côté, Anselme voue
une certaine admiration pour leur voisine. Sur un ton plus amer que
véritablement doux, Robin Davis décrit la lente déchéance
intellectuelle de Victor, laquelle prend une ampleur inattendue
lorsque contrarié par les incessantes remarques de son colocataire,
Anselme décide de se venger en inscrivant sur la tombe de l'ancienne
épouse du vieil aigri, un message laissant supposer qu'elle eut une
relation adultère. Plus le temps s'écoule et plus les rires qui
émanent au début du spectateur se transforment en une certaine gêne
qui ne cessera jamais plus de grandir au fil du récit.
La
séquence du bal demeure d'ailleurs à ce titre le point culminant
d'un récit profondément touchant qui témoigne d'une blessure
causée par un individu pourtant généralement affectueux (on se
demande en effet comment Anselme peut continuer si longtemps à
accepter les offenses faites à son encontre par Victor). Une emprise
d'ailleurs tellement prégnante qu'elle oblige le premier à
s'aligner sur le comportement du second. Bernard Blier et Jacques
Dufilho interprètent un touchant ''duo'' agissant parfois comme un
vieux couple d'époux vivant toujours ensemble bien qu'ayant cessé
de s'aimer. L'air affable du premier et celui, plus rude du second,
crée une parfaite alchimie. De manière insidieuse, Ce
cher Victor
montre à quel point le mimétisme est parfois la seule solution pour
un homme de supporter la cruauté avec laquelle son camarade agit
envers lui. D'une tristesse finalement absolue, le long-métrage de
Robin Davis fut tourné entre le cimetière de Boulogne-Billancourt
où se trouve la tombe de l'épouse de Victor, le Passage Saint-Paul
situé dans le quatrième arrondissement de Paris qui abrite
l'appartement des trois principaux protagonistes ou encore la salle
des fêtes Emile Zola de Nogent-sur-Marne où a lieu la désolante
séquence du spectacle précédant la tragique séquence qui clôt le
récit. Accusant quasiment cinquante ans d'âge, Ce
cher Victor
n'a absolument rien perdu de sa force et entre dans le cercle très
fermé des comédies plus ou moins dramatiques consistant en la
description d'une assemblée constituée de membres d'une famille ou
de simples proches (ici réduite à sa plus extrême étroitesse)
révélant la part véritable du comportement humain. Bref, sous ses
airs de petit film presque anodin dans la carrière de l'un et de
l'autre des deux principaux interprètes, Ce cher
Victor est
une œuvre tragique qui mérite d'être (re)découverte. En
compétition aux côtés de vingt et un autre longs-métrages lors du
Festival de Cannes
de
l'année 1975, le film de Robin Davis représenta la France mais ce
fut au final Chronique des années de braise
du réalisateur algérien qui remporta la Palme
d'or cette
année là...
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