Mon top dix (non
exhaustif) du cinéma asiatique se trouve être majoritairement
constitué de longs-métrage d'origine japonaise, que voulez-vous. Il
se constitue ainsi : Avec, au sommet de mon classement,
le sud-coréen The Strangers de
Na Hon-Jin et le japonais Kotoko
de
Shin'ya Tsukamoto. Viennent ensuite et dans le désordre, 964
Pinocchio
de Shozin Fukui, A Snake of June
de Shin'ya Tsukamoto (et ouais, pour la seconde fois), Elle
s'appelait Scorpion
de Shun'ya Ito, Onibaba, les tueuses
de Kaneto Shindô, ainsi que trois œuvres signées de Sion Sono, The
Forest of Love,
Guilty of Romance
ainsi que Himizu.
Forcément, vu les places réduites qu'impose un top dix, je n'ai pas
pu ajouter Ishirö Honda, Takashi Shimizu, Takashi Miike, Hideo
Nakata, Noboru Iguchi, Kosaku Yamashita ou Koji Wakamatsu...
Peut-être dans un top cinquante ou cent. Bon, là, normalement, vous
vous dites que ce type ne sait apparemment pas compter sur ses dix
doigts vu que dans son top dix, il en manque un ! Et vous auriez
raison de vous manifester. C'est pourtant frais comme la rosée du
matin malgré un terrible mal de dos à force de me croire toujours
âgé de treize ou quatorze ans et de faire le con que j'ai enfin pu
mettre la main sur le film que j'estime devoir ajouter à ma liste
afin de clore définitivement, et après mûre réflexion, ce top
dix ! Je ne suis pas allé dépoussiérer de vieilles bobines
faisant partie des classiques du cinéma chinois mais me suis tout
simplement laissé embarquer par une affiche. Celle de Limbo
de Soi Cheang. Je suis d'autant plus heureux de pouvoir l'ajouter à
ma liste que le cinéma chinois n'est en général pas du tout ma
came. À l'issue d'une projection qui prend un peu moins de deux
heures de temps, faire le bilan du spectacle visuel auquel l'on a eu
affaire se résumera tout d'abord en une phrase simple à comprendre
mais assez longue à écrire : Le district de Whitechapel de la fin
du dix-neuvième siècle ressemble aux allées du château de
Versailles en comparaison de ce dépotoir à ciel ouvert que le
réalisateur hongkongais filme avec une complaisance presque malsaine
mais aussi et surtout avec une incomparable virtuosité. Dans un noir
et blanc somptueux qui nous épargne fort heureusement souvent
l'impression de sentir les odeurs nauséabondes qui se dégagent de
la quasi totalité des plans, Soi Cheang soigne cette esthétique de
la déchéance et du désœuvrement.
Le spectateur perd un peu de sa contenance face au regard vague et au calme froid du saisissant Hiroyuki Ikeuchi...
Sacs-poubelles
et containers à ordures éventrés... Les mouches s'invitent au
festin de manière séculaire, avides comme jamais des chairs qui se
décomposent dans un magma de détritus ménagers dont le réalisateur
multiplie les plans. Autant dire que la concurrence est, dans l'ordre
d'idée selon laquelle plus un univers décrit y est sale et plus le
spectateur aura l'impression d'assister à un cauchemar éveillé,
battue à plate couture. Si ce n'était l'obligation de devoir
prendre en compte l'ordre chronologique dans lequel sont sortis Seven
de David Fincher et ses nombreux succédanés, nous pourrions
affirmer que Limbo
est celui qui les inspira tous. Sauf que nous sommes ici en 2021 et
qu'il n'y a aucun doute sur le sujet. Scénaristiquement parlant, le
long-métrage du réalisateur hongkongais ne propose par contre rien
de véritablement inédit. Au centre du récit où deux flics que les
méthodes singulières de l'un d'eux opposent, un tueur en série qui
sévit et coupe la main gauche de ses victimes. Outre l'aspect peu
ragoutant des habitudes du bonhomme, Soi Cheang en rajoute dans
l'horreur avec le drame épouvantable qu'est en train de traverser
son héros, l'inspecteur Cham Lau qu'interprète Ka Tung Lam, dont
l'épouse gît dans un lit, sous respirateur artificiel et une jambe
en moins ! Aux côtés de Cham Lau, le très propre sur lui,
Will Ren (l'acteur Mason Lee), supérieur hiérarchique fraîchement
débarqué et parfois même dépassé devant l'ampleur de la double
tâche qui lui incombe (traquer le tueur et tenter de tempérer le
comportement de son nouveau partenaire). Ajoutée au duo, l'actrice
Yase Liu, dans le rôle de Won Tau, un voleuse de voiture, toxicomane
et accessoirement responsable de l'état dans lequel se trouve
l'épouse de Cham Lau, va passer un sale quart-d'heure. Bousculée
avec un réalisme qui parfois dérange, va y avoir du remue-ménage
chez les néo-féministes si jamais ces dernières tombent un jour
sur ce film. Nous ne sommes très clairement pas là pour rigoler
mais pour contempler avec quelle maestria Soi Cheang use de sa
caméra. Celle-ci virevolte, épouse les contours, s'envole dans les
airs, donne le tournis, souligne le caractère des personnages, bref,
c'est du grand art. À elle seule la séquence du parking et
certaines poursuites dans les bas-fonds sont des monuments. Limbo
est
un fleuron du cinéma noir, cruel, cauchemardesque, crépusculaire,
nihiliste mais formellement sublime. À ne tout de même pas mettre
entre toutes les mains...
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