Il est rare qu'au sortir
de la projection d'une œuvre de science-fiction, d'épouvante ou de
fantastique française l'on ressorte de la salle les deux extrémités
de la banane pointées vers le ciel. Au mieux l'on affiche un sourire
poli pour ne pas contrarier les quelques spectateurs qui une fois
dehors vantent les qualités qui nous sont demeurées invisibles. Au
pire, c'est le visage grimaçant, contrit, voire décomposé d'avoir
mis de l'argent pour découvrir un film qui n'en méritait pas tant
que l'on placarde devant ceux qui viennent d'entrer dans la salle
pour la projection suivante. Les visiteurs
de Jean-Marie Poiré demeure finalement peut-être le meilleur
d'entre tous. Une comédie fantastique que l'on peut revoir en boucle
sans que jamais elle ne nous lasse. J'avoue n'avoir jamais entendu
parler du scénariste et réalisateur français Thomas Cailley. Sans
doute parce qu'avant Le règne animal
celui-ci n'a mis en scène qu'un clip vidéo, un court-métrage et
les épisodes de la série télévisée Ad Vitam
ou
que son premier long-métrage intitulé Les
combattants
ne m'avait pas encore donné envie de le découvrir jusqu'à
aujourd'hui. S'il est toujours bon d'apprendre de ses erreurs et de
réparer ses manquements, c'est désormais chose faite avec Le
règne animal
qui contrairement à la série documentaire éponyme mise à
disposition des abonnés Netflix
est bien une œuvre de fiction. Entre dystopie, film fantastique,
science-fiction et drame, le dernier long-métrage de Thomas Cailley
est sans conteste l'un des plus grands moments de bravoure que nous
ait proposé le cinéma français depuis belle lurette.
Le
réalisateur français s'attaque à un sujet dont les maîtres-étalons
sont rarement originaire de l'hexagone. Certains pourront voir dans
ce dramatique récit tournant autour de la mutation de l'homme vers
l'animal une régression tandis que d'autres envisageront sans doute
ce processus aux origines inconnues comme un retour vers la nature.
Un point de vue qui dès lors peut être strictement envisagé comme
une approche environnementale d'ordre utopiste ! D'emblée,
Thomas Cailley ne fait aucun mystère de l'étrange phénomène dont
les stigmates seront visibles tout au long des cent-trente minutes
que dure le long-métrage. L'on peut ainsi observer en même temps
que François et son fils Emile, une créature hybride, mélange
d'homme et d'oiseau prenant la fuite en pleine capitale. L'attitude
du père et du fils semble atone, mais l'on comprendra très vite
pourquoi quelques instants plus tard. En effet, ça n'est pas un
secret que de révéler que l'épouse du premier et donc la mère du
second est elle-même atteinte par ce mal étrange qu'aucun être
parfaitement sain d'esprit ne pourra considérer comme une étape
normale dans l'évolution de l'homme. Traitée dans un institut
spécialisé, celle-ci doit bientôt être transférée dans le sud.
François et Émile vont donc déménager eux aussi pour venir
s'installer dans un camping de vacances. Nous pourrions développer
le résumé de l'intrigue jusqu'à l'un de ses points culminants lors
duquel l'on découvre qu’Émile est lui-même atteint par la
maladie mais point trop n'en faut. Au départ, je l'avoue, j'ai ri.
Devant cette créature hybride mi-humaine, mi-oiseau qui
m'apparaissait alors un brin ridicule. Comme plus tard, cette
femme-poulpe qui allait fuir entre les rayons d'un supermarché.
Vision sans doute trop abrupte et instantanée (l'homme-oiseau) ou
saugrenue (la femme-poulpe), la lente transformation d'Emile arrivera
pourtant à point nommé pour renverser la vapeur de ce qui pouvait
apparaître grotesque et qui désormais fait figure d'événement
dramatique.
Il
y a de commun entre ce que peuvent observer Emile et le spectateur,
ce rejet qui peu à peu se mue en accoutumance avant d'être
finalement accepté dans sa globalité. Écrit par le réalisateur
lui-même ainsi que par la scénariste Pauline Munier, Le
règne animal
repose en partie sur des critères en matière de fantastique balisés
depuis bien des décennies. L’œuvre semble être parfois
effectivement inspirée par les mutants de la franchise X-Men
dont les créatures partagent avec celles du Règne
animal le
rejet d'une grande partie de la société ou la ségrégation dont
elles sont les victimes. Conscient ou non d'avoir ainsi transposé le
mythe de la créature fantastique invariablement chassée par l'homme
(de Frankenstein en passant par E.T, tout ce qui nous dépasse est
irrémédiablement traqué et anéanti), Le
règne animal
peut également s'envisager comme une version largement plus élaborée
du mythe du loup-garou. Œuvre fantastiques dotée de remarquables
effets-spéciaux de maquillage et de CGI,
le film est surtout porté par l'incroyable performance de Paul
Kircher qui bien qu'étant ''accolé'' à un interprète dont la
renommée n'est plus à faire en la personne de Romain Duris, incarne
un Emile absolument bouleversant. L'une des spécificités dont est
pourvu Le règne animal
et que l'on ne retrouve pas systématiquement chez nos lointains
voisins des ''Amériques'' est cette propension à transformer un
simple film fantastique en une œuvre authentiquement poignante. Le
film de Thomas Cailley semble parfois partir dans tous les sens en
abreuvant le spectateur de sous-intrigues et de personnages
secondaire, lesquels participent pourtant avec une étonnante mais
parfaite cohésion à l'ensemble du récit. On en sort alors ébloui
devant tant de beauté (les décors soigneusement choisis par Julia
Lemaire et la remarquable photographie de David Cailley, frère du
réalisateur) et de sentiments mêlés. Le règne
animal,
c'est du grand cinéma, tout simplement, porté par d'excellents
interprètes auxquels l'on ajoutera Adèle Exarchopoulos dans le rôle
de la gendarmette Julia, Tom Mercier dans celui de Fix,
l'homme-oiseau ou encore la jeune Billie Blain dans celui de Nina...
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