Mettre en scène dans le
rôle principal d'une œuvre telle que celle-ci un personnage comme
Léo est en soit un acte qui peut paraître osé, voire contre
nature. Et pourtant, la chose en elle-même n'est pas si rare que
cela dans le septième art. Elle est même assez commune et la
participation de tueurs plus ou moins atteints psychologiquement se
chiffre par milliers. Ici, pas de meurtres involontaires, isolés,
religieux ou de masse. Non, Léo est typiquement le genre d'individu
dont les fantasmes mûrissent le jour, bourgeonnent en début de
soirée et fleurissent quand vient la nuit. Un timide qui ne sait
s'exprimer qu'à travers la musique, qu'il compose dans le
confortable habitacle de sa voiture. Un véhicule qui lui sert aussi
bien d'outil de travail que de maison. Un sociopathe, surtout, pour
qui aligner trois mots est moins aisé que d'aiguiser la lame de son
couteau en l'enfonçant dans les chairs de ses victimes féminines.
Mais comme dans tout récit imaginaire, il y a des rencontres qui
parfois tiennent du miraculeux ou de l'inattendu. Souvenez-vous de
Frank Zito, amateur de scalps, fils d'une mère violente qui
éteignait ses clopes sur le torse de son fils. Le bonhomme ne
trouvait rien de mieux que de tuer des femmes choisies au hasard et
dont il ramenait les cuirs chevelus chez lui afin de les planter sur
la tête de mannequins de cire afin d'entamer à leur contact, de
bien tristes monologues. N'avait-il pas fait la connaissance d'une
photographe de mannequins ? N'était-il pas parvenu à entamer
une relation d'amitié avec elle malgré son horrible faciès grêlé.
Bon, il est vrai qu'à l'issue de leur courte fréquentation, le
''fantôme'' de sa mère retenant son attention un peu trop
vigoureusement, Frank avait tenté de tuer la Belle... Selon le
réalisateur Marc Fouchard, son très réservé chauffeur de taxi
privé devrait pouvoir lui aussi prétendre à une relation avec le
sexe faible. Surtout que contrairement à Frank, Léo a vraiment un
charisme étonnant. Allez, je veux bien l'admettre, Frank lui aussi,
mais d'un tout autre genre... Jusque là, le brin ténébreux, au
regard souligné de sombres cernes, au menton alourdi par une épaisse
barbe noire et au regard tout aussi bleu qu'impénétrable usait d'un
couteau comme d'une queue. La sienne serait-elle devenue si peu
performante pour que l'usage d'une arme blanche devienne
indispensable ?
Parce que les meurtres,
aussi sordides et violents nous paraîtront-ils, sont pour le jeune
homme, un véritable exutoire. Mais lequel ? Affichant la
comparaison de manière vraiment grossière, la charmante Amélie,
sourde, muette, danseuse mais avant tout, cliente de Léo (c'est
ainsi qu'il la découvre pour la première fois) est incarnée par la
talentueuse Aurélia Poirier. Nous sommes en France. Et même si
Outre-Atlantique, certains ont enfin compris qu'un peu de psychologie
pouvait sublimer les thématiques de l'horreur et de l'effroi, c'est
bien de par chez nous que l'épouvante s'inscrit le mieux dans un
contexte dramatique proche de l'auteurisme. Mon correcteur
d'orthographe aura beau me rappeler le néologisme du terme en
tentant de me le faire corriger, son usage n'est pas innocent et
reflète même sans doute mieux que n'importe quel autre vocabulaire
ce qu'il sous-entend ici. Car plus qu'un film d'auteur, c'est bien
ici d'auteurisme qu'il s'agit d'évoquer. Entre l'un et l'autre, un
fossé qui se veut moins d'ordre artistique, esthétique et technique
que davantage en lien avec le script. Comme le bègue dont la voix
est sans heurts lorsqu'il s'isole dans sa chambre, Léo s'exprime
avec une économie d'impétuosité lorsque autour de lui aucun badaud
ne peut témoigner de ses facultés à user de la parole. Rares
moments qui dénotent presque au sein d'une œuvre avare en
dialogues. Trois quarts-d'heure et l'on attend toujours de voir et de
comprendre comment va évoluer la situation. Seuls moyens jusque là
de retenir l'attention du spectateur : une ambiance nocturne
relativement trouble et envoûtante ainsi que deux principaux
interprètes véritablement magnétiques. Kevin Mischel est
clairement habité. Ensuite, je ne sais pas comment se déroule la
traque et le meurtre d'une victime par un tueur en série (n'en étant
pas un moi-même) mais Hors du monde
apparaît sous cet angle, plutôt crédible. Les meurtres, bien que
filmés hors champ, restent malgré tout assez brutaux et malaisants.
La prédation elle aussi est convaincante. Surtout lors de la
séquences située en sortie de boite de nuit. Et puis, demeurent
quelques séquences qui en révèle davantage sur Léo, comme lors de
la scène située dans le parc. L'évolution de la trame est lente et
il faut s'armer de patience pour aller jusqu'au bout. Au final, quel
message Marc Fouchard tente-t-il de faire passer ? Que l'espoir
d'un changement ou d'une évolution heureuse ne doit pas être
systématiquement permis ? Il y a des âmes comme celle de Léo,
de Frank ou du tueur du traumatisant Schizophrenia
qui
sont perdues à jamais. Hors du monde
est un pavé qui dans la grande mare du cinéma de psychokiller
ne fait malheureusement que des ricochets...
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