La douleur qui s'exprime
lors des scènes filmées par Emmanuel Finkiel
est aussi forte que celle qu'éprouve son héroïne mais sans doute
bien moins que celle que ressenti vers la fin de la seconde guerre
mondiale celle qui posa des mots dessus. Marguerite Duras. La
douleur
est à l'origine un ouvrage paru en 1985 aux éditions P.O.L.
La romancière y décrit le calvaire qu'elle vécu après
l'arrestation de son époux Robert Antelme qu'elle épousa en 1939 et
qui fut donc arrêté par la Gestapo avant d'être envoyé à
Buchenwald 1er juin 1944 . Derrière ce nom barbare se cachait l'un
des camps de concentration nazi les plus connus, lequel y retenait
entre autres prisonniers, des communistes, des homosexuels ou des
opposants politiques. Dans l'attente du retour de son époux,
Marguerite Duras rédige à l'époque un journal dans lequel elle
note son ressenti. Journal qui servira plus tard de matière première
à l'écriture de La
douleur
dont le récit sera le point central d'un recueil portant le même
nom. Quarante-deux ans après sa toute première parution dans les
librairies, le texte est adapté sur grand écran par Emmanuel
Finkiel qui l'année précédente nous avait servi le remarquable Je
ne suis pas un salaud
avec dans les principaux rôles, les formidables Nicolas Duvauchelle
et... Mélanie Thierry à laquelle il offre désormais le rôle-titre
de Marguerite Duras qui à l'époque portait donc le nom de son mari
Robert Antelme. La douleur
portant son sujet sur une très importante période de notre
histoire, le film est donc incarné par des personnages eux-mêmes
historiques. C'est ainsi que l'on retrouve l'acteur Grégoire
Leprince-Ringuet dans la peau de François Mitterand. Homme d'état
français qui bien des années plus tard deviendra le président de
la République du 21 mai 1981 au 17 mai 1995. Mais alors que nous
sommes en 1944, celui-ci se fait appeler François Morland et dirige
le réseau de résistance connu sous le nom de
Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés.
Le charismatique compositeur, interprète et acteur Benjamin Biolay
campe quant à lui le personnage de Dionys Mascolo, lequel fait
lui-même partie de la résistance auprès de Marguerite et Robert
Antelme.
Face
à ces valeureux français dont le film exprime finalement assez peu
la force de leur engagement dans la résistance, l'on retrouve le
cynique Pierre Rabier, membre de la Gestapo
que la jeune Marguerite (alors âgée de trente ans) rencontre un
jour et qu'interprète l'excellent Benoît Magimel qui l'année
précédente incarna le rôle principal d'Antoine Rocard dans le
formidable polar d'Olivier Marchal, Carbone.
Pendant deux longues heures, Emmanuel Finkiel décrit le douloureux
cheminement d'une femme dans l'attente de ses retrouvailles d'avec
son mari déporté dans un camp de concentration. Nouant ainsi une
étrange relation strictement intéressée des deux côtés avec
Pierre Rabier qui, soit dit en passant, est interprété de manière
terriblement glaçante par un Benoît Magimel impressionnant par son
timbre, sa carrure (l'acteur s'est étonnamment empâté) et cette
façon quotidiennement menaçante qui sourd derrière chaque phrase
prononcée. Le but étant moins de reconstituer la France de
l'Occupation que d'observer la psychologie dégradée d'une femme
dans la douleur d'avoir été ''abandonnée'' par celui qu'elle aime,
le long-métrage d'Emmanuel Finkiel cueille davantage les spectateurs
à travers la remarquable interprétation, générale, mais d'abord
celle de l'extraordinaire Mélanie Thierry, le visage grave, suintant
le désespoir et l'amertume. Avec La douleur,
Emmanuel Finkiel signe un très grand film, parcouru par les écrits
de Marguerite Duras elle-même et dont la portée chavire
littéralement le spectateur. Du très grand cinéma émotionnel qui
sera notamment nominé dans les catégories Meilleure actrice,
Meilleur film, meilleure réalisation, meilleure photographie, décors
et costumes lors de la 44e
cérémonie des César
mais sans pour autant recevoir aucun prix. Contrairement au Festival
du film de Muret qui
en 2017 couronna Emmanuel Finkiel ou le Festival
du film de Cabourg
qui l'année suivante offrit un Swann
d'or
bien mérité à Mélanie Thierry pour sa très émouvante
interprétation de Marguerite Duras. Une œuvre troublante,
éblouissante, touchante, reconstituant avec justesse les états
d'âmes de l'une des plus grands romancières françaises du
vingtième siècle...
Biolay je peux pas, c'est physique...
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