L'acteur Patrick Dewaere
disparaissait il y a maintenant plus de quarante ans, laissant
derrière lui une formidable carrière d'interprète mais aussi
l'image d'un écorché vif. En France l'on a la religieuse habitude
de chercher parmi les jeunes loups du cinéma, les héritiers des
grands noms du septième art. Un pompeux procédé qui parfois vise
pourtant juste. Mieux que de comparer un grand nom du cinéma avec un
autre, il semble plus judicieux de confronter des personnages qu'ils
ont les uns et les autres interprété sur grand écran. Avec son
visage anguleux, Nicolas Duvauchelle se rapproche sans doute
physiquement de Patrick Dewaere mais l'on retiendra d'abord pour
l'un, son incroyable performance dans la descente aux enfers signée
par Alain Corneau en 1979, Série noire.
Et pour l'autre, sa formidable prestation dans Je
ne suis pas un salaud
d'Emmanuel Finkiel en 2016. Entre les deux longs-métrages
trente-sept ans d'écart, et entre Franck Poupart et Eddy, beaucoup
de points communs. Une vie de couple compliquée. Un boulot peu
gratifiant. Et une existence qui d'une manière générale va les
mener sur une pente terriblement savonneuse. Nicolas Duvauchelle est
à n'en point douter l'un des meilleurs acteurs français actuels. Sa
physionomie à quelque peu changé en dix ans. Le visage rond et
presque adolescent qu'il arborait à l'époque de Les
Yeux de sa mère
de Thierry Klifa a laissé place à un faciès émacié agrémenté
d'une barbe de trois jours et de yeux cernés de noir. L'apparence
idéale pour interpréter le rôle d'Eddie, père de Noam (le jeune
Johann Soulé) et ex compagnon de Karine (excellente Mélanie
Thierry). Sans travail, c'est grâce à cette dernière qu'il est
embauché dans une entreprise en tant que manutentionnaire. Peu à
peu, la personnalité d'Eddie se définie à travers des habitudes
qui expliquent sûrement leur séparation avec Karine. Le jeune homme
boit... beaucoup... et se montre parfois très violent. Mais le
script d'Emmanuel Finkiel et de la scénariste Julie Peyr ne
s'attarde pas uniquement sur le profil familial du personnage mais
s'intéresse également au fait-divers dont il a été la victime
directe. Après avoir passé la soirée dans un bar, c'est en
raccompagnant une jeune femme qu'il vient de rencontrer chez elle
qu'Eddie est témoin du vol d'un autoradio par une jeune voyou. En
intervenant, Eddie met sa vie en danger. En effet, un attroupement de
racailles s'interpose entre le voleur et lui qui, par fierté (ses
regards répétés envers la jeune femme qu'il a prévu de
raccompagner chez elle en disent long) choisit de ne pas lâcher
l'affaire. S'ensuit son agression qui se termine par un coup de
couteau dans le flanc qui l'envoie à l’hôpital.
Un
mal pour un bien serait-on tentés de dire puisqu'à son réveil, il
trouve au pied de son lit, son fils et Karine. Il est invité à
venir se reposer chez elle et obtient même un rendez-vous avec
l'employeur de la jeune femme qui lui offre de travailler comme
manutentionnaire. Le bonheur ? Pas vraiment, car lors d'une
confrontation, Eddie va reconnaître chez le jeune Ahmed (l'acteur
Driss Ramdi), l'un de ses agresseurs... Nicolas Duvauchelle
s'approprie totalement le personnage d'Eddie, un individu à la
personnalité ambiguë, comme peut d'ailleurs l'être parfois le
récit. Coupable idéal ? Sentiment de détresse et d'injustice
poussant à reconnaître chez un innocent le visage de la
culpabilité ? D'emblée, le réalisateur met le spectateur mal
à l'aise avec cette agression qui semble tirée de l'un de ces
nombreux fait-divers dont parlent les médias presque
quotidiennement. Emmanuel Finkiel n'étant apparemment pas du genre
à passer de la pommade dans le dos de tel ou tel parti politique ou
telle frange de la population plutôt qu'une autre, tout le monde en
prend pour son grade : les agresseurs sont bien issus de
l'immigration ou du moins, font partie de sa descendance. Eddie, lui,
est français dit ''de souche'' et n'est pas plus recommandable que
ceux qui l'ont attaqué. Je ne suis pas un salaud
décrit un univers social débilitant, où chacun cherche sa place et
Eddie comme les autres. Le film entretient toute une série de
suspicions. Eddie est-il sûr de lui ou l'horrible idée ''celui-là
ou un autre, qu'importe'' lui est-elle passée par la tête ?
Quelle relation Karine entretient-elle avec Régis Labrecque (Nicolas
Bridet), son supérieur hiérarchique ? Comme l'était à son
époque Franck Poupart, Eddie est un raté. Un paumé passant le plus
clair de son temps à boire au zinc. À la différence de quoi, le
premier s'était créé un but dans la vie : Sauver et prendre
soin de Mona (Marie Trintignant) qui vivait jusque là aux crochets
de sa tante qui la prostituait (Jeanne Herviale). Intense, Je
ne suis pas un salaud multiplie
les séquences chocs avec un réalisme qui file souvent le bourdon
lorsqu'il ne tétanise pas tout simplement. Emmanuel Finkiel pousse
le curseur jusqu'à infantiliser son ''héros'' lors d'un procès en
forme d'humiliation. Une séquence s'attardant uniquement sur le
visage décomposé de Nicolas Duvauchelle. Je
ne suis pas un salaud,
c'est du grand cinéma à la française débarrassé de tous les
chichis inutiles propres au cinéma américain. Une expérience
intense pour une œuvre remarquablement bouleversante...
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