Au premier abord, la gamine qui hante le dernier long-métrage de la
réalisatrice, scénariste et productrice française Lucile
Hadzihalilovic semble entretenir un rapport avec l'inquiétante Coré
de Trouble Every Day
d'une autre cinéaste hexagonale, Claire Denis. Cachée du monde
extérieur dans un univers clos, où l'obscurité domine et où les
éclairages ne jaillissent qu'à travers les fentes de volets
constamment fermés, Mia souffre d'un mal lui aussi étrange. Ici,
point d'appétence pour la chair humaine mais un besoin presque
fondamental qui restera scrupuleusement ignoré. Car Earwig
(littéralement,
Perce-oreille)
se fait très discret concernant la maladie de Mia, jeune enfant
interprétée par Romane Hemelaers à laquelle Lucile Hadzihalilovic
offre son tout premier rôle. Pas sûr après ça que l'actrice belge
retrouve du boulot après cette incarnation certes très intéressante
mais qui semble désormais devoir la cantonner dans un registre bien
particulier. Moins Earwig
apporte de réponses et plus l’œuvre s'avère intrigante et donc,
passionnante. Comme l'américain David Lynch aime laisser son public
se démerder lorsqu'il s'agit de détricoter ses œuvres les plus
complexes, la réalisatrice française n'a semble-t-il pas d'autre
objectif que celui d'adapter l’œuvre de l'écrivain britannique
Brian Catling qu'elle eut peur de trahir, lequel octroya finalement
au film le terme de Transmutation.
Pas facile de se plonger dans l'univers de Mia et d'Albert Scellinc
(l'acteur Paul Hilton). D'autant plus que le long-métrage y impose
une multiplicité de temporalités liée à autant de sous-intrigues.
Car si le quotidien de Mia et d'Albert semble être une mécanique
bien huilée, il va falloir s'armer de patience et se libérer de
toute contrainte intellectuelle pour ne pas finir noyé sous
l'absence d'informations. Atteinte de la maladie dite des ''Dents
de glace''
(ou Pagophagie, affection qui pousse celles et ceux qui en sont
atteints d'ingérer des glaçons ou tout types de produits encore
congelés de manière compulsive), Albert est chargé de prendre soin
de la jeune fille et notamment de ses dents qu'il est contraint de
traiter par des moyens médicaux. Parti de cela, le spectateur n'a
d'autre choix que de suivre une œuvre avare en paroles mais à
l'atmosphère et au décorum suffisamment travaillés pour que son
attention soit maintenue jusqu'au bout.
Et
ce, même si l'incompréhension domine. Dans l'ombre, le ''Maître''
téléphone à Albert pour s'assurer que tout va bien et lui annonce
qu'il va devoir préparer Mia à son futur départ. Visuellement,
Earwig
subjugue. Le travail sur la photographie de Jonathan Ricquebourg et
les décors de Jeanne Fonsny participent de cette échappée vers
l'irréel que d'aucun cherchera à analyser selon ses propres
références puisque jusqu'au bout, le mystère demeurera. Les clés
du film demeurent donc peut-être dans l'inconscient tantôt
collectif, tantôt individuel de l'enfance. Cette peinture devant
laquelle s'extasie Mia n'est-elle pas le reflet de ces maisons de
poupées avec lesquelles jouent en général les jeunes filles de son
âge ? L'art pictural se confond d'ailleurs avec le réel,
lorsque vue de l'extérieur, une immense demeure aux atours
similaires se matérialise devant nos yeux. Lorsque surgit à l'écran
le mystérieux étranger (incarné par l'acteur belge Peter Van den
Begin) tandis qu'Albert boit à la table d'un bar, Earwig,
qui déjà faisait montre d'une certaine virtuosité narrative, se
complexifie en intégrant un nouveau sujet centré sur deux autres
personnages dont une certaine Céleste (la réalisatrice, scénariste
et actrice britannique Romola Garai). Mieux : non seulement les
deux récits vont s'entrecroiser mais de surcroît, Lucile
Hadzihalilovic explose le cadre propre à la linéarité pour jouer
sur une double temporalité. Deux facettes bien distinctes d'une même
intrigue qui vont se percuter lors de la première sortie de Mia en
dehors de l'édifice qui la retenait jusque là ''prisonnière''.
Comme le spectateur semble observer ces personnages à travers une
''Boule à
neige'',
certains signes avant-coureurs trouvent malgré tour une
justification (le monde se reflétant parfois pour Albert à travers
la vision déformée d'un ou plusieurs verres). Discrète,
minimaliste et répétitive, la bande-musicale d'Augustin Viard
demeure l'un des atouts majeurs d'un long-métrage qui pose malgré
la sobriété de la mise en scène, une profusion de questions. L'on
sort de l'expérience sinon bouleversé, du moins conquis...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire